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« La royauté s’étant dérobée à la tâche, » cette tâche, on l’entreprendra donc sans elle, malgré elle, au besoin contre elle.

Pour revenir à l’heure présente, une vérité s’impose : la politique entrevue par Louis XVI lors de son accession au trône, la politique de réformation financière et de rénovation sociale, la seule sans doute qui aurait pu conjurer ou prévenir la tourmente révolutionnaire, cette politique de salut monarchique est désormais finie et abandonnée sans retour. Les grands moyens ayant échoué, il ne reste au pouvoir royal que les procédés empiriques et les expédions dilatoires ; dans la descente effrayante et rapide, il ne reste qu’à s’accrocher aux touffes d’herbes, aux menues branches, pour retarder l’instant, l’inévitable instant, de rouler au fond de l’abîme. Et de ce tragique dénouement, le Roi ne peut, en bonne justice, s’en prendre qu’à lui-même. Deux fois, en l’espace de sept ans, avec Turgot d’abord, avec Necker ensuite, il avait eu cette bonne fortune de rencontrer des hommes honnêtes, clairvoyans, courageux, tout prêts à se dévouer pour sauver sa couronne. Il les avait, en pleine besogne, chassés, ou laissé chasser, l’un et l’autre ; après leur chute, il avait, sans mot dire, assisté à la destruction de tout ce qu’ils avaient réalisé au prix d’un dur labeur. Par cette faiblesse, par cet aveuglement, il avait à jamais usé toute la somme de confiance que la nation lui avait accordée. Ces deux faillites retentissantes avaient épuisé son crédit. L’immense désillusion entraînait une immense rancune, où il entrait quelque mépris.


Ce qu’il est cependant nécessaire d’ajouter, avant de clore cette douloureuse étude, c’est que, si le régime royal était irrémédiablement atteint, la nation française demeurait pleine de vigueur et de vitalité. Sous la ruine apparente, il subsistait des ressources profondes ; les réserves étaient intactes. Même malgré l’indigence de certaines régions isolées, le pays, dans l’ensemble, était sensiblement plus riche qu’au commencement du siècle. Des témoignages nombreux et concordans constatent, dans la dernière partie du règne de Louis XVI, l’état prospère et florissant de nos plus grandes provinces, — l’Artois, l’Orléanais, les plaines de la Garonne, la Charente, l’Anjou, la Touraine, — la fertilité des campagnes, le développement de l’industrie et du commerce dans les villes, le nombre des canaux,