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temps du règne, à fortifier chez le jeune prince l’amour du bien public et certains principes de sagesse. Il avait assez de lumières pour discerner clairement tout ce qui menaçait l’avenir de la royauté bourbonienne et pour pressentir, tout au moins, de quel côté il faudrait chercher le remède. Il devina, il désigna Turgot, Saint-Germain et Necker.

Mais, comme le dit avec justesse son ami l’abbé de Véri, « tout fut gâté par les deux vices » qui constituaient le fond même de son caractère : « une insouciance quasi universelle pour tout ce qui n’était pas lui, la faiblesse de sa volonté dès qu’il rencontrait des obstacles, » à quoi il s’ajouta, dans les dernières années, une puérile impatience à l’égard de tous ceux dont il sentait la supériorité. C’est ainsi qu’il abandonna des hommes dont, au fond de son cœur, il reconnaissait le mérite, pour se confier à d’autres qu’il considérait à part soi comme de médiocres subalternes, qu’il préféra conserver de mortels abus plutôt que de livrer de difficiles batailles, et que, par suite, il agit fréquemment contre ses propres sentimens et ses propres idées. C’est grâce à ces défauts, à cette inconsistance, qu’il laissa peu à1 peu l’autorité royale, dont il devait être le guide, flotter à la dérive entre des plans de conduite opposés, tantôt lutter contre les parlemens, et tantôt servir leurs rancunes, porter un jour la philosophie au pouvoir, la livrer le lendemain à la risée publique, osciller constamment du système libéral au système despotique, de la réforme à la routine, de la réaction au progrès.

Bien peu de mois avant sa fin, causant familièrement avec l’abbé de Véri, Maure pas disait, d’un ton mélancolique : « Je ne fais pas tout le bien qu’il y aurait à faire ; mais j’empêche plus de mal qu’on ne pense. On le verra bien après moi[1]. » Cette phrase renferme, semble-t-il, une part de vérité. Il avait fait, quand il mourut, à peu près tout le mal dont il était capable ; peut-être, s’il eût survécu, aurait-il pu, dorénavant, rendre quelques services. Dans l’état d’anarchie, de décomposition, d’irrémédiable décadence où, — beaucoup par son fait, — était dès lors tombé le régime monarchique, lui seul pouvait maintenir encore une ombre de discipline extérieure, une apparence de dignité, toute de surface, toute de parade, servant du moins, ainsi qu’un voile léger, à couvrir les misères et les décrépitudes

  1. Journal de Véri.