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il dénonçait avec éclat les abus et les vices de l’ancien régime monarchique, il fournissait, lui reproche-t-on, une arme redoutable aux adversaires du trône, il attirait les regards du pays sur ce qui eût gagné à demeurer dans l’ombre. De même, par ses essais d’assemblées provinciales, il provoquait chez la nation française l’idée, le goût de gérer ses propres affaires, d’où découlerait nécessairement le désir de se gouverner elle-même. Il a donc doublement aidé au déchaînement de la Révolution ; il en a, tout au moins, précipité la marche. Cette argumentation paraît irréfutable. Reste à savoir si, en frayant la voie à tout ce qui, dans la Révolution française, fut juste, utile et bienfaisant, en devançant par des réformes sages, et en atténuant par là même, le mouvement qui poussa les Etats-Généraux à tout jeter à bas pour tout refaire ensuite, reste à savoir, — en supposant qu’il ait pu terminer son œuvre, — si Necker n’aurait pas rendu à la royauté défaillante le plus grand des services, s’il n’eût pas limité à 1789 la rénovation nécessaire. Qu’on puisse, à son propos, se poser cette question, n’est-ce pas déjà, pour sa mémoire, un rare et magnifique hommage ?

A quoi bon d’ailleurs s’attarder à ces problèmes oiseux et errer à travers le champ, vaste et stérile, de l’hypothèse ? Il est un fait certain, palpable et hors de discussion, c’est qu’à partir du départ de Necker, les affaires de l’Etat ne cesseront de péricliter et de s’acheminer vers la ruine, jusqu’à la catastrophe finale ; c’est que, plus spécialement, le département des finances ne sera plus administré que par de médiocres sous-ordres, comme Joly de Fleury et son successeur d’Ormesson, ou bien par des jongleurs et par des charlatans, tels que Calonne et Loménie de Brienne. Or nul n’ignore que c’est le déficit qui désarma la monarchie française, la mit à la merci de ceux qui complotaient sa perle. Le sage, l’honnête Malouet a, dans ses mémoires impartiaux, inscrit cette phrase, qui est le jugement de l’histoire : « Quoi qu’on puisse dire, c’est de la retraite de M. Necker, en 1781, et de l’impéritie de ses successeurs, que datent les désordres qui nous ont conduits aux Etats-Généraux. »


VI

Sur la manière dont fut choisi le nouveau chef du département des Finances, il existe une légende, dont Marmontel s’est