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conduits en prison pour avoir colporté, avec un succès incroyable, une image populaire représentant l’illustre financier, avec ces quatre vers au bas :


Necker, victime de l’envie.
Fait pleurer tout bon citoyen.
Pauvres, à qui sa femme a conservé la vie,
Gémissez sur sa perte et n’espérez plus rien[1] !


Enfin, beaucoup plus tard encore, dans les derniers jours de septembre, Necker, faisant visite au « Salon des tableaux du Louvre, » était l’objet d’une ovation inouïe. Une foule nombreuse l’escorta d’abord en silence ; puis, une voix s’étant écriée : Voici le restaurateur des Finances ! Vive M. Necker ! » tout le monde fit chorus, avec des battemens de mains, des acclamations enthousiastes. Confus, Necker voulut se retirer ; plus de deux mille personnes se précipitèrent sur ses pas, l’accompagnèrent « jusque dans son carrosse[2]. »

Dans le monde des affaires la désapprobation se traduisit d’une manière plus frappante encore. « On voyait à la Bourse, dit Hardy[3], tout le monde muet et consterné ; il y avait beaucoup de vendeurs d’effets royaux, mais point d’acheteurs, ou fort peu, et ces effets commençaient à éprouver déjà une diminution considérable. » Les chiffres que cite le libraire viennent à l’appui de cette affirmation. Le lendemain même de la démission de Necker, les actions de la Compagnie des Indes perdaient 70 francs sur les cours de la veille et les billets d’emprunt baissaient de 25 livres. Les gazettes de l’époque font des constatations analogues. « La confiance du public étant ébranlée, on ne trouve plus d’argent pour les emprunts, » affirmera l’un d’eux. On se plaindra bientôt aussi des retards apportés au paiement des rentes sur l’Etat, naguère si ponctuellement versées. Dès le mois de juillet, Hardy remarque avec aigreur que les « payeurs du Roi, » au lieu de verser au public « l’argent promis pour la Saint-Pierre, » c’est-à-dire pour le 29 juin, ont ajourné les paie-mens à huitaine, « comptant sans doute sur beaucoup plus

  1. Lettres de Kageneck, 11 juillet 1781. 8i l’on en croit Soulavie, la démission de Necker fut l’occasion et le sujet de soixante-dix estampes, exprimant toutes la déception et l’irritation populaires.
  2. Correspondance secrète de Métra.
  3. Journal de Hardy, mai 1781.