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laconique à Maurepas : « La Reine m’a donné la démission de M. Necker. Je l’ai acceptée. Prévenez M. Joly de Fleury[1]. » Dans la nuit même, le directeur, à peine rentré dans son domicile parisien, fut averti que, par ordre du Roi, il eût, sans perdre de temps, à remettre son portefeuille. Il quitta le lendemain matin l’hôtel du contrôle général, et partit pour Saint-Ouen, où il avait une maison de campagne.


IV

L’annonce de ce grand événement fut répandue, dès le matin, dans toute la capitale. La sensation produite dépasse toute description. Augeard lui-même, ennemi déclaré de Necker, se voit obligé d’en convenir : « Ce furent, dit-il avec dépit, des cris, des hurlemens dans tout Paris, comme si la France était perdue ! » Toutefois, les manifestations bruyantes ne vinrent qu’au bout de quelques heures. Dans les premiers momens, ce fut plutôt une espèce de morne stupeur. Le 20 mai était un dimanche. Par les rues et par les promenades, on voyait l’affluence d’un beau jour de printemps. Mais cette foule restait muette et « la consternation était peinte sur tous les visages, » comme lorsque éclate la nouvelle d’un désastre. « Les lieux publics dit Grimm, étaient remplis de monde, mais il y régnait un silence extraordinaire ; on se regardait, on se serrait tristement la main[2]. » Le soir seulement, l’émotion générale fit explosion avec une soudaine violence. Les comédiens du Roi donnaient, au Théâtre-Français, que l’on appelait alors le théâtre du Louvre, une pièce du répertoire, La partie de chasse d’Henri IV. Le sujet de cette comédie était « la conduite admirable » tenue par le roi populaire quand « le vertueux Sully, » persécuté par des envieux et en butte aux intrigues de Cour, trouve auprès du souverain un suret ferme appui, qui déjoue les complots, fait taire les perfides calomnies. Y eut-il préméditation de la part de la troupe ? Les comédiens crurent devoir s’en défendre. Toujours est-il que jamais pièce ne parut davantage être « de circonstance, » ni prêter plus aux faciles allusions. La salle était bondée de monde. A l’une des premières scènes, lorsque Henri IV dit, à propos de Sully : « Ils m’ont trompé, les méchans ! » le

  1. Journal de Véri.
  2. Correspondance de Grimm, mai 1781.