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laisse ? Il s’aliène tour à tour, grâce à ses prétendues réformes, « toutes les classes les plus respectables, » tout ce qui compte dans le royaume : « A la Cour même se forme un parti contre lui. Les familles les plus distinguées dans l’administration et la magistrature ne cachent pas leur répugnance et leur haine,… et Votre Majesté voit chaque jour le nombre des mécontens s’accroître parmi ses sujets. »

Danger plus grave encore, par ses écrits comme par ses actes, il encourage « l’esprit d’innovation » qui s’élève de tous les côtés et qui menace les institutions séculaires, et « il tourmente des hommes qu’il fallait assoupir au lieu de les exciter. » C’est ainsi qu’aujourd’hui « l’administration du royaume, ce grand résultat de la sagesse de vos augustes ancêtres, se trouve menacée par toutes les folies du temps et des circonstances. » Le réquisitoire de Vergennes, — car on ne peut lui donner d’autre nom. — prend fin sur cette péroraison, qui en résume l’esprit et dont l’allure, quelque peu solennelle, n’est pas sans éloquence : « Si l’opinion publique de M. Necker peut prévaloir définitivement, si les principes anglais et genevois s’introduisent dans notre administration, Votre Majesté doit s’attendre à voir commander la partie de ses sujets qui obéit, et la partie qui régit prendre sa place… Je pense que Votre Majesté ne peut demeurer simple spectatrice de cet événement, ni tarder à sacrifier l’opinion publique de M. Necker à l’opinion, aux principes, à l’administration sage et pacifique des ordres et des corps qui, depuis des siècles, ont opéré la puissance et la grandeur de cet empire. Votre Majesté se voit encore une fois dans la situation où Elle se trouva vis-à-vis de M. Turgot, lorsqu’Elle jugea à propos d’accélérer sa retraite. Les mêmes dangers et les mêmes inconvéniens dérivent de la nature de leurs systèmes analogues. »


III

Tandis que le Roi consultait, que Maurepas goguenardait et que dogmatisait Vergennes, le contre-coup de ces incidens politiques se faisait sentir à Paris. Il s’y colportait les nouvelles les plus contradictoires. Le Journal de Hardy se fait l’écho de cette agitation et donne avec exactitude la note de l’esprit populaire. L’émotion du libraire lui suggère même parfois des métaphores, de grandiloquentes expressions, très nouvelles sous sa plume.