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l’affaire. Il en fut informé par les soins de Maurepas, qui présenta les choses à sa façon, tantôt raillant Necker, tantôt blâmant son intraitable orgueil et son insatiable ambition, et le représentant comme imbu, dans le fond du cœur, « d’idées républicaines, » qui venaient de son origine. Le mot était bien calculé ; il ne manqua pas son effet. Quatre ans plus tard, à ce souvenir, Louis XVI disait, sur un ton de colère : « Je ne veux pas faire de mon royaume une république criarde, comme est la ville de Genève ! » Maurepas dépeignait aussi son collègue comme « voulant se mêler de tout, » osant se comparer à l’illustre Sully, prétendant « dominer et surveiller » tous les autres ministres, « s’asseoir, enfin, sur le trône à côté du Roi. » Plus encore que la précédente, cette dernière phrase piqua Louis XVI au vif : « C’est trop fort ! s’écria-t-il. Cet homme veut se placera côté de moi ! » Puis, serrant la main du Mentor : « Vous ne faites pas cela, vous, » murmura-t-il d’un accent attendri[1].

Toutefois, demeuré seul, quand la réflexion fut venue, le Roi fut comme pris de scrupule. Il connaissait la rivalité de Maurepas et du directeur général ; il suspecta, dans l’occurrence, l’impartialité du premier. Il se résolut donc à demander l’avis d’un homme de sens rassis, du plus ancien des secrétaires d’État, de celui-là avec lequel, depuis plusieurs années, il correspondait secrètement sur les affaires diplomatiques, et il pria Vergennes de lui dire par écrit son sentiment sur la personne et sur l’administration de Necker.


Nous possédons la réponse de Vergennes[2]. C’est une note étendue, une sorte de consultation, du style lourd et diffus dont est coutumier son auteur, modérée dans la forme, certainement empreinte de bonne foi, mais témoignant d’un esprit routinier que toute nouveauté effarouche, d’un sectarisme étroit et d’autant plus dangereux qu’il est plus honnête et sincère. C’est donc un document intéressant à double titre, et par l’action qu’il exerça sur les résolutions royales, et par le jour qu’il jette sur les idées, sur les dispositions intimes d’un parti nombreux et puissant, dont on ne saurait dire qu’il a disparu sans retour.

Vergennes, en homme d’honneur, commence par déplorer

  1. Journal de Véri.
  2. Cette note, retrouvée par Soulavie dans l’armoire de fer, parmi beaucoup d’autres, a été publiée par lui dans ses Mémoires sur le règne de Louis XVI, t. IV.