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saurions, à la fin de cette chronique, en tenter seulement l’esquisse. Mais rien ne serait plus intéressant, pour achever l’analyse d’un ouvrage d’histoire, que de remonter la suite des temps, que de rattacher en quelque sorte au centre immuable, tel ou tel point d’une circonférence de plus en plus élargie. C’est ainsi qu’à la base même de la fugue (et de la sonate et de la symphonie qui en dérivent) on retrouverait la « quinte modale, » par laquelle tout l’art antique fut régi. De même, dans un cas ou dans une espèce moins générale et dont nous vous épargnons le détail spécifique, on serait conduit à reconnaître avec M. Maurice Emmanuel, avec M. d’Indy, que, pour corriger les imperfections de la fugue en mode mineur, le seul procédé possible est aujourd’hui le recours au vieux mode des Grecs, le dorien. « Cette solution confirme, par une application technique, la continuité de l’art. Malgré des brisures, des coupures plus apparentes que réelles, la musique diatonique, fondée il y a deux mille cinq cents ans, poursuit ses destinées sans avoir épuisé le vieux t’omis. Viendra-t-il un jour où ce courant de l’art occidental sera dévié ou tari ? Chi lo sa ? Il suffit de constater que des œuvres lointaines l’alimentent, sources encore vives où les artistes peuvent puiser. »

De cette continuité, l’historien a donné d’autres exemples encore, et plus frappans. Il a rappelé, dès les premières pages de son livre, l’existence, l’évidence de certaines relations étroites entre le drame grec et le drame lyrique moderne, entre le génie d’un Eschyle et celui d’un Wagner. Il a fait voir, en dépit de la diversité des moyens, que « le souci des constructions, l’amour des symétries, le jalonnement par des motifs directeurs, se retrouve pareil dans les Choéphores et dans Tristan. »

Ainsi la musique est bien un art continu, mais dont la continuité n’exclut pas de singuliers, de surprenans retours. Comment, après tant de siècles, ne leur trouverions-nous pas un air de nouveauté qui déconcerte ! Le jour, si ce jour arrive jamais, où les vieilles lois de l’art grec, les modes et les rythmes, redeviendront maîtresses de notre art, cette restauration fera l’effet d’une révolution. Pour le musicien d’alors il y aura vraiment de nouveaux cieux et de nouvelles terres, que peut à peine, imaginer le musicien d’aujourd’hui.


CAMILLE BELLAIGUE.