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nécessaire[1]. Dans le même temps enfin, et depuis plusieurs mois, les négociations économiques avec l’Espagne (chemins de fer et emprunts marocains) étaient fâcheusement négligées par nous. De là naissaient pour l’Espagne une crainte et une tentation, la crainte que la marche sur Fez ne fût le commencement d’une conquête française impossible à limiter, la tentation de profiter pour des réalisations personnelles des conflits dès lors certains entre Paris et Merlin. La presse de Madrid ne laissait point de doutes sur les dispositions d’une partie de l’opinion. Parmi beaucoup d’autres, les articles du Manana révélaient le but secret de la politique espagnole : annuler les accords de 1904 soit simplement dans leurs clauses restrictives, soit même dans leur fond en revenant aux accords de 1902 : « L’opinion, écrivait ce journal, doit considérer les intérêts de la France et de l’Espagne au Maroc non pas comme conciliables, mais comme incompatibles, en dépit de la correction des relations diplomatiques : car le chemin de fer français de Taza à Rabat par Fez ruinerait toutes les espérances de l’Espagne en Afrique. »

Sans doute le gouvernement n’allait pas aussi loin. Mais dès ce moment son parti était pris de répondre à l’expédition de Fez par une autre expédition, de même qu’à l’expédition de la Chaouia avait répondu l’expédition du Rif. Le 21 mars, M. Garcia Prieto, ministre des Affaires étrangères, se faisait un mérite d’avoir adressé au gouvernement français des observations. Le 8 avril, M. Canalejas disait à son tour : « Le gouvernement français a cru nécessaire d’aviser les puissances signataires de l’acte d’Algésiras qu’il se voyait obligé de faire face à de sérieuses éventualités. Nous avons répondu que le gouvernement espagnol, fidèle à ses engagemens, prenait acte de cette communication et que, l’heure venue d’arrêter ses résolutions, il ferait honneur aux dits engagemens. Il n’en est pas moins à craindre que les événemens de Fez n’aient un contrecoup sur d’autres points de l’Empire chérifien. » Après quoi, le premier ministre insinuait ce qu’il n’osait encore annoncer explicitement : « Nous avons en conséquence le devoir de prendre des précautions et d’être prêts à tous lus risques autour de nos places fortes. Nous avons aussi à remplir les devoirs imposés par la prudence sur tous les points où il y a

  1. Voir Pierre Baudin. Rapport au Sénat. janvier 1912.