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d’instruire la police dans les ports ouverts était partagée entre l’Espagne et nous, et c’est (sauf à Casablanca) dans la zone qui l’intéressait le plus que les officiers espagnols étaient appelés à exercer leur action. Ni les intérêts positifs ni la juste fierté de la monarchie ne recevaient donc d’atteinte. Matériellement et moralement elle sortait de la conférence dans une position renforcée, tant en Europe qu’en Afrique. Le règne commençant d’Alphonse XIII s’ouvrait par un succès : excellente condition pour continuer à Paris et à Madrid, dans l’esprit des conventions antérieures, l’application méthodique de l’acte d’Algésiras.

Cette application, à vrai dire, ne devait pas aller sans difficultés. La conférence d’Algésiras avait résolu la crise européenne dont le Maroc avait été l’occasion ; elle n’avait pas résolu et ne pouvait pas résoudre le problème marocain. L’acte du 6 avril 1906 définissait une solution d’attente, mais rien de plus. D’une part en effet, le corps international n’était pas armé pour réaliser dans l’Empire chérifien les réformes nécessaires, et d’autre part les puissances, France et Espagne, à qui la conférence avait reconnu un privilège limité d’exécution, trouvaient dans les stipulations internationales un obstacle qui devait sans cesse paralyser leur activité. J’ai essayé de montrer ailleurs[1] quelle insoluble contradiction impliquait pour la France le régime de 1906 : qu’en admettant notre intérêt spécial au maintien de la paix marocaine, il nous laissait sans moyens de la défendre efficacement ; qu’il nous imposait à la fois le devoir d’agir et l’impossibilité d’agir. Il en était de même pour l’Espagne et de l’identité des situations devait, semble-t-il, résulter pour les deux puissances la solidarité des politiques.

Des difficultés du même ordre les attendaient. Il leur fallait concilier par un laborieux opportunisme leurs engagemens internationaux et leurs intérêts nationaux, respecter l’intégrité et l’indépendance du Maroc tout en y développant leur influence propre, et cela dans le milieu le plus anarchique qui fut jamais, à la merci de violences qui, en appelant des représailles, exposaient les deux puissances chargées d’instruire la police marocaine à exercer l’action directe que l’acte d’Algésiras n’avait pas été jusqu’à leur accorder. Dans la posture de défenderesse

  1. Voyez notre ouvrage le Mystère d’Agadir.