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qu’on peut excuser, après tout, chez un gueux vraiment gueux, sévère, en toute occasion, pour ce qu’il appelait « l’ami prudent, » ce prisonnier, qui se croyait abandonné de tous, rima, mais sans entrain, — il s’y reprit à plusieurs fois, — la satire des Vieux Coppées. On me dispensera d’y insister : encore que le parodiste ait mis à l’écrire trois mois (« Mons 1874. Janvier, février, mars et passim »), elle a, dans l’évolution poétique de Verlaine, moins d’importance encore que les contes.

Il n’en est pas ainsi de l’Art poétique, écrit au mois d’avril. Ce manifeste est trop fameux, trop significatif pour qu’on puisse se contenter d’une indication sommaire.

Ici encore, la date de publication a trompé les plus fins lecteurs. M. Jules Lemaitre, et je ne m’en étonne pas, voulait voir dans le manifeste un ouvrage écrit assez tard. J’ai dû le croire comme lui, avant d’y regarder de près. Nous avons au contraire ici, et dans certains vers du Prologue, le résultat d’une deuxième éducation, qui s’est accomplie entre 1871 et 1874 : commencée au début des relations avec Arthur Rimbaud et poursuivie, un peu partout, à dater de ce moment-là, elle reprend fiévreusement, elle s’achève, au cours de la captivité.

L’un des profits que Verlaine nous affirme avoir retirés de la fréquentation de l’adolescent Ardennais, c’est d’avoir été « presque forcé » par lui de lire entièrement les poésies de Mme Desbordes-Valmore. L’étonnement fut grand : « nulle cuistrerie, avec une langue suffisante et de l’effort assez pour ne se montrer qu’intéressamment… Comme c’est chaud, ces romances de la jeunesse, ces souvenirs de l’âge de femme, ces tremblemens maternels !… Quels paysages, quel amour des paysages ! Et cette passion si chaste, si sincère, si forte et si émouvante néanmoins. » Au sortir de cette lecture, Verlaine ressentit plus vivement qu’il n’avait pu le faire jusque-là le principal défaut des infaillibles Parnassiens, leur sécheresse foncière ; il écrira plus tard en parlant d’eux : « Du bois, du bois et encore du bois. » Mais ce qui est autrement curieux, c’est qu’à lui, à l’auteur des Fêtes galantes, la bonne Marceline réservait une surprise de métier : il apprit d’elle et de sa poésie « un peu naïve, sous le rapport de la forme, » que le plus inspiré perd quelque chose à n’avoir pas l’absolue possession du mécanisme de son art, mais que la virtuosité extrême offre encore plus de périls, et qu’il est presque nécessaire au vrai talent, pour n’être pas sournoisement