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tissu et d’un grain souple, mais serré, Verlaine a exclu d’ici tout ce qui est amplification, effusion de mots, chasse aux images. Ou, pour mieux dire, l’exclusion s’est faite d’elle-même.

Il y a trois façons d’être poète et je ne parle pas, bien entendu, de la contrefaçon qui prend impudemment, mais inutilement, toutes les formes.

Une source, formée de lointaines, d’obscures, d’incessantes infiltrations, arrive à sourdre en quelque endroit du sol, bouillonne à sa sortie et se répand en un ruisseau qui peut s’enfler et s’élargir sur son chemin jusqu’à creuser le lit d’un fleuve. Lamartine est le plus heureux de ces poètes du moindre effort dont les dons naturels, et par momens presque surnaturels, se soient manifestés sous cette forme.

Une fournaise où s’engouffre le bois de toute provenance et une cuve en terre réfractaire, où le fondeur jette sans se lasser tout ce qu’il a conquis et entassé de métal rare ou commun pour amener la coulée du bronze en fusion à pénétrer jusque dans les moindres replis du moule préparé par ses mains et d’où doivent sortir des légions de médailles ou de statues : c’est là aussi, n’en doutons pas, une œuvre de poète et c’est, autant que ce mesquin miroir métaphorique en peut donner l’idée incomplète, insuffisante, le labeur cyclopéen de notre fabuleux Victor Hugo.

Il y aurait enfin l’humble besogne de l’abeille. Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour. Il commence à l’avant-printemps, il se poursuit jusqu’aux approches de l’hiver. Et la mouche camuse allant, revenant sans répit, pendant les heures de soleil de la saison, doit butiner des milliers de fleurs pour distiller très lentement quelques gouttelettes de miel ; mais ces gouttes ont le goût sauvage et la délicieuse odeur que l’ours et l’ægipan flairaient, autrefois, d’une lieue.

Quelque amère et brûlante que soit parfois la poésie de ces Romances sans paroles, elle est œuvre d’abeille, au moins par ce mystérieux pouvoir de condenser en une seule strophe, ou même en un seul vers, tout un faisceau de sensations et, dans trois mots évocateurs, de nous faire entrevoir tout l’infini de la pensée. Que d’élégies, que d’harmonies, que de méditations, que d’odes on entasserait sur l’un des deux plateaux de la balance pour faire à peu près équilibre au petit volume sorti des presses