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cet exsangue André Chénier de l’école des « impeccables. »

Or ce n’est pas impunément qu’à l’âge où l’esprit est si facile à façonner et même à déformer, cereus in vitium flecti, l’adolescent précoce a entendu, a retenu ces invitations à l’ivresse, Le vin des chiffonniers, Le vin des Amans, Le vin de l’Assassin, Le vin du Solitaire :

Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,
Les baumes pénétrans que ta panse féconde
Garde au cœur altéré du poète pieux ;

Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie.
Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,
Qui nous rend triomphans et semblables aux dieux.

Et si Verlaine, en 1868, écrit le petit livre, les Amies, qu’il n’ose pas, pourtant, produire au jour sans déguiser son visage de jeune auteur et sans abandonner l’honneur, plutôt suspect, de ces sonnets « artistes, » mais libidineux, au licencié de Ségovie Pablo de Herlañez ; s’il s’est complu, comme un peintre de la décadence florentine, à perpétrer ces études de musée secret, c’est pour avoir sans doute été de très bonne heure initié par l’édition princeps des Fleurs du Mal à des égaremens voluptueux, exaltés dans des vers d’une harmonie alliciante :

Lesbos, terre des nuits chaudes et langoureuses, etc.

Pour ne parler que des œuvres que l’on peut lire, le sceau de Baudelaire est reconnaissable partout dans les Poèmes Saturniens, du titre à l’épilogue. Le titre, — Charles Morice l’a noté très justement, — est dérobé à ce sonnet-préface de l’édition remaniée des Fleurs du Mal : « Epigraphe pour un livre condamné[1]. »

Lecteur paisible et bucolique.
Pâle et naïf homme de bien.
Jette ce livre Saturnien,
Orgiaque et mélancolique.

  1. La pièce fut insérée dans le Premier Parnasse contemporain (1866) avec un petit nombre de morceaux de Baudelaire, en même temps que sept pièces de Verlaine, dont six devaient passer dans les Poèmes Saturniens. Le deuxième Parnasse (1869) contient cinq pièces de Verlaine. Dans le troisième Parnasse de 1876, le nom de Verlaine ne figure plus : l’éditeur l’a rayé de ses papiers.