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nouvelles, » d’exercer « une juridiction souveraine et de police générale sur toutes les actions et sur toutes les personnes[1]. » Avec de telles dispositions, le mémoire de Necker et les principes qu’il proclamait leur parurent une cruelle insulte et un criminel attentat. Ils y virent l’intention avouée de retirer aux cours souveraines, pour les transmettre aux assemblées tout récemment créées, leur prérogative essentielle, le droit de vérifier et d’enregistrer les édits, soumis par la coutume séculaire du royaume à l’examen du parlement. Ils y virent même le noir dessein de leur ravir le droit de « remontrance, » qui leur tenait encore plus étroitement au cœur.

J’ai dit quelle violente tempête suivit cette découverte. D’Eprémesnil, en pleine audience, s’écriait publiquement : « Quel est cet aventurier, quel est ce charlatan, qui ose mesurer le patriotisme de la magistrature française, qui ose la supposer tiède dans ses affections civiques et la dénoncer au jeune Roi ! » Dans une réunion de magistrats, il fut sérieusement proposé, si le directeur général demeurait au pouvoir, que le parlement refusât, comme sous le ministère Maupeou, de rendre la justice, « ce qui, écrit Hardy, semblait, surtout en temps de guerre, une perspective effrayante et que, pour cette raison, ou ne pouvait envisager sans ressentir une patriotique émotion[2]. »

Le corps des intendans n’était pas moins furieux. L’un d’entre eux, Sénac de Meilhan, allait trouver Maurepas et fulminait contre Necker. Le Mentor ripostait sur le mode persifleur. « Et s’il vous demandait, interrogeai ! Sénac, la permission de faire couper la tête aux intendans ? — Peut-être, répliquait Maurepas avec sang-froid, le lui permettrions-nous, si cela devait nous rapporter quelques millions[3]. » Ce ton, ces ironies, étaient peu faits pour calmer les esprits.

Necker s’est toujours défendu, — et on doit le croire sur parole, — d’avoir nourri contre les magistrats les desseins menai-ans qui lui furent attribués. Quelques semaines après sa chute, il protestait encore contre une telle interprétation. « Il n’est jamais entré dans mon esprit, écrivait-il à son ami Devaulx[4], qu’il put être du bien de l’Etat, ni même favorable à l’autorité,

  1. Arrêt cité par M. M. Carré dans son volume sur La fin des parlemens.
  2. Journal de Hardy, 2’i avril 1781. — Mémoires de Soulavie.
  3. Mémoires de Soulavie.
  4. Lettre du 4 juillet 1781. — Archives de Coppet.