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Ce tracas, comme on pense, n’était pas pour plaire à Maurepas. Sans parler de sa jalousie, il pouvait avoir, à vrai dire, des raisons personnelles d’être peu satisfait. En ce long exposé de l’administration fiscale dans le cours des dernières années, Necker, soit oubli, soit vengeance, n’avait pas une seule fois prononcé le nom du Mentor, du « principal ministre, » du « chef du Conseil des finances. » Celui-ci se montrait fort blessé de cette omission. Il ne pouvait, toutefois, blâmer ouvertement l’ouvrage, ayant été consulté pour la forme, ayant même, comme j’ai dit, lu le manuscrit à l’avance, et ayant consenti, encore qu’à contrecœur, à sa publication[1]. Mais, à défaut d’attaques formelles, il se livrait, du moins, à sa verve gouailleuse. Quand on lui demandait ce qu’il pensait du Compte rendu : « Je le trouve, disait-il, aussi vrai que modeste ! » Le ton et le regard soulignaient l’intention. Ou bien, par allusion à la nuance azurée de la couverture du volume, il le surnommait le Compte bleu. Le mot faisait fortune, donnait naissance à une brochure intitulée La réponse au Compte bleu, où bien des gens assuraient reconnaître l’inspiration directe et le tour d’esprit de Maurepas. D’autres pamphlets jaillissaient coup sur coup, où les allégations, les chiffres de Necker, étaient discutés, épluchés, où l’on raillait sa suffisance, ses prétentions à l’infaillibilité, jusqu’à sa tendresse conjugale. Certains reproches avaient plus de portée. Dans un article du Mercure, le directeur est nettement accusé « de faire tous ses efforts pour transformer le roi de France en chef d’une république bien dirigée, » ce qui, comme observe un contemporain, « passait alors pour une imputation atroce[2]. »

Au fond, toute cette guerre d’épigrammes était de peu d’effet, et ces traits, plus ou moins piquans, ne traversaient pas la cuirasse. Necker lui-même, tout chatouilleux qu’il fût, était alors trop enivré d’encens pour ne point négliger ces mesquines représailles[3]. Ce que voyant, ses adversaires se résolurent à changer de méthode et à laisser les menues flèches pour recourir à la massue.

  1. Journal de l’abbé de Véri.
  2. Souvenirs de Moreau, t. II.
  3. Journal de Véri.