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paix. Il est non moins certain que, dans l’espérance de Necker, l’exposé méthodique de tous les progrès accomplis depuis son avènement, de toutes les réformes projetées, de tout le bien fait et à faire, en regard des abus anciens et des erreurs de ses prédécesseurs, affermirait sa situation personnelle, consoliderait sa popularité et assurerait la durée de son œuvre. Dans une époque où l’opinion était devenue une puissance, mettre l’opinion dans son jeu lui parut un coup de partie. Dans la plupart de ces calculs, il ne se trompait qu’à demi.


V

De ce vaste exposé, la première partie, certainement, était la plus heureuse. Necker y expliquait, avec une rare lucidité, le mécanisme compliqué de l’administration fiscale. Il projetait la lumière sur les innombrables canaux destinés à drainer l’or des particuliers pour l’amener dans les caisses publiques. Il introduisait ses lecteurs dans le dédale, jusqu’alors mystérieux, des modes de perception et des diverses taxes. La taille, la dime, la capitation, la gabelle, cessèrent d’être, aux regards de la plupart des Français de ce temps, d’obscures et effrayantes machines, dont on sentait les coups sans en savoir le fonctionnement et sans en discerner les rouages. Somme toute, Necker, en ces pages substantielles, faisait l’éducation financière du pays.

Mais ses révélations ne s’arrêtaient pas là. L’argent ainsi perçu, il prétendait encore en indiquer l’emploi, sans rien dissimuler des vices et des abus, et là commençait le péril. Pour la première fois, en effet, on apprenait, par une voie authentique et de source certaine, le chiffre vraiment scandaleux des pensions et des grâces, de toutes les sommes plus ou moins extorquées à la faiblesse des rois par la cupidité des grands. Certains passages de ce chapitre sont moins d’un homme d’Etat que d’un moraliste sévère, ressemblent plus à un réquisitoire qu’à un rapport ministériel. « Acquisitions de charges, y lit-on, projets de mariage et d’éducation, pertes imprévues, espérances avortées, tous ces événemens étaient devenus une occasion de recourir à la munificence du souverain ; on eût dit que le trésor royal devait tout concilier, tout aplanir, tout réparer… Les intérêts dans les fermes, dans les régies, dans beaucoup de places de finance, dans les marchés de toute espèce, et jusque