Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus répandues étaient l’œuvre d’Augeard, alter ego du vieux ministre et confident de ses rancunes contre le directeur. D’ailleurs, Augeard, dans ses Mémoires, laisse échapper à ce propos des aveux significatifs : « Je partageais bien véritablement, dit-il, les peines de M. de Maurepas. Je lui offris mes services, en le priant de ne jamais me nommer ni me compromettre. Je l’engageai à faire de petites notes de tout ce que dirait M. Necker, et, comme j’étais obligé d’aller deux fois par semaine à Versailles pour ma charge, je lui disais, avec toute la franchise possible, ce que je pensais sur les différentes besognes, projets et propositions de ce jongleur[1]. » Quelques personnes bien informées soupçonnaient bien cette complicité du Mentor. Plus d’une lettre de cette époque exprime la désapprobation que suscitaient parmi les âmes élevées ces fâcheux procédés. « M. Necker, écrit le chevalier de Pujol, est persécuté par ses ennemis et ses envieux. Celui qui devrait le défendre et engager le Roi à faire taire les malintentionnés donne le ton sur cet objet… Je hais M. de Maurepas comme la peste ! »

Toute cette guerre clandestine affectait plus qu’il n’eût fallu le directeur général des finances. Son orgueil chatouilleux souffrait de ces piqûres journellement renouvelées ; il s’en plaignait avec amertume à sa femme, que le spectacle de sa peine mettait « au désespoir. » Aussi s’avisa-t-elle d’en écrire à Maurepas, à l’insu de Necker, qui l’en eût sans doute détournée[2]. Elle le priait avec instance d’user de son autorité, d’arrêter les attaques, de sévir, au besoin, contre les pamphlétaires. Dictée par le zèle le plus louable, cette lettre n’en était pas moins une lourde maladresse. Mme de Staël la juge ainsi : « Cette fausse démarche, écrit-elle, en apprenant à M. de Maurepas combien M. et Mme Necker étaient sensibles à tout ce qui pouvait leur ôter la faveur de l’opinion publique, lui fit connaître quel était le plus sûr moyen de les blesser[3]. » Effectivement, on remarqua dès lors une recrudescence de libelles, une audace redoublée de la part des diffamateurs.

Ce qu’on remarque encore, c’est un complet revirement d’humeur chez Maurepas. Abattu, comme découragé, dans les semaines qui suivent la dernière crise ministérielle, il se relève

  1. Mémoires d’Augeard, passim.
  2. Notice sur M. Necker, par A. de Staël, passim.
  3. Du caractère de M. Necker, par Mme de Staël.