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que « les bontés actuelles de Leurs Majestés le dédommageaient amplement de cette méprise qui lui avait fait croire qu’il n’était plus digne de leur confiance. » Il se résignait donc à demeurer en place, en répétant sa formule favorite, « qu’on pouvait faire l’essai des talens de M. de Ségur, qu’il le soutiendrait de son mieux par respect pour le choix du Roi et la protection de la Reine. » Mais, en reprenant le harnais, il n’abdiquait pas sa rancune. Quelqu’un l’interrogeant sur le compte des nouveaux ministres : « Ne me demandez pas, disait-il, s’ils sont à mon gré. A mon âge, on ne cherche pas à faire de nouvelles connaissances[1]. »

A Versailles, à Paris, l’émotion restait vive. On remarquait, dit un contemporain, « une fermentation affreuse à la Cour, » et la « double révolution » accomplie en quelques semaines y suscitait l’attente des plus grands événemens[2]. On voulait, à toute force, y voir à la fois plus et mieux qu’un simple changement de ministres, mais une orientation nouvelle, la promesse d’un régime meilleur, la fermeté succédant à l’incohérence, l’économie au gaspillage, le sérieux à la légèreté. des gazetiers flétrissaient, en se voilant la face, la singulière frivolité de ceux qui présidaient naguère aux destinées françaises, et l’on rappelait avec scandale certain bal costumé, donné naguère en pleine guerre d’Amérique, où Maurepas, presque octogénaire, avait figuré Cupidon, où Sartine était en Neptune, où Vergennes, en Mappemonde, étalait sur son cœur la carte des Etats-Unis et sur son dos la carte d’Angleterre. On découvrait dans ces enfantillages le symbole d’un monde Unissant. On ne revenait plus ces choses. Ainsi, une fois de plus depuis l’essor du nouveau règne, du besoin de salut naissait une espérance.

Maurepas restait sans doute le chef du Cabinet, mais seulement, pensait-on, pour la parade et sans action réelle. La direction effective du royaume échappait à ses faibles mains. Le « sceptre » qu’il tenait encore n’était plus qu’ « un hochet pour amuser sa vieille enfance. » Qui recueillerait son héritage ? A qui passerait l’autorité vacante ? Un nom était sur toutes les lèvres, celui de Marie-Antoinette. L’entrée de Ségur aux affaires, bien plus encore que celle de Castries, était son œuvre propre, le

  1. Mémoires de l’abbé Georgel. — Lettres du chevalier de Metternich. — Lettres de Kageneck. — Correspondance publiée par Lescure.
  2. Lettres du chevalier de Pujol, passim.