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l’extrémité occidentale de la Turquie d’Europe et précisé mont sur ce littoral de la mer Adriatique qui est aujourd’hui l’objet des convoitises serbes. C’est sa situation géographique ; sa situation politique n’est pas moins intéressante. L’ancien sultan Abdul-Hamid avait montré à l’Albanie une prédilection particulière ; les Albanais étaient, disait-il, ses enfans ; il les comblait de ses faveurs, il leur confiait la garde de ce qu’il avait de plus cher au monde, c’est-à-dire de sa personne. Les Jeunes-Turcs ont pris naturellement le contre-pied de cette politique, et l’Albanie a été en état d’insurrection pendant tout leur règne : il y avait là un ferment d’agitation qui, dans une moindre proportion que la guerre de Tripolitaine, mais agissant dans le même sens, a encouragé les peuples balkaniques à déclarer la guerre à la Turquie déjà défaillante. L’Albanie est occupée par une population de même race, mais de religions différentes. Aussi son unité n’est-elle peut-être pas aussi solide qu’on pourrait le croire : on l’a vue au commencement de la guerre hésiter sur le parti à prendre et finalement n’en prendre aucun. Il y a même eu de sa part quelque tendance à se diviser, et c’est peut-être ce qui encourage en ce moment la Serbie à désirer qu’elle soit divisée en effet, coupée en plusieurs morceaux, partagée comme une nouvelle Pologne entre les vainqueurs de la guerre, à l’exclusion de la Bulgarie, qui est trop loin et qui aurait ses compensations ailleurs. Rien n’est plus contraire aux conceptions particulières de l’Autriche et aussi de l’Italie. L’une et l’autre ont des vues sur l’Albanie et ne sont arrivées à les concilier que dans un désintéressement mutuel, peut-être provisoire. Ce qu’elles demandent, c’est l’indépendance de la province : on en ferait une principauté, destinée peut-être à devenir un jour un royaume… comme les autres. Depuis longtemps l’Italie et l’Autriche, la seconde surtout, voient dans l’Albanie un pays à opposer à la Serbie pour lui faire contrepoids, et si cet intérêt existait déjà hier à leurs yeux, on sent combien il a dû grossir à mesure que la Serbie grossissait elle-même et devenait plus inquiétante. L’idée de l’Autriche serait de fortifier l’Albanie le long de la mer Adriatique, de la développer, de lui maintenir la possession des ports que la Serbie convoite. Ni l’Autriche, ni l’Italie ne craignent l’Albanie, pays arriéré, où la civilisation n’a pas encore pénétré, où elle pénétrera, difficilement : la Serbie, au contraire, est un pays en plein développement, en progrès constant, qui vient de montrer avec éclat quel accroissement il avait su donner, en peu d’années, à sa force militaire. S’il est vrai, comme nous l’avons dit, qu’après avoir payé en paroles aux alliés balkaniques le tribut