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parti redoublait encore d’admiration à son égard. Le vaincu se trouvait sortir de son duel avec la double couronne du martyre et de la victoire.


Le séjour d’Elster à Marseille ne devait pas être cependant aussi long, ni non plus aussi inutile, que l’avait craint d’abord le musicien philhellène. Dès les premiers jours de 1821, le capitaine d’un petit vaisseau marchand avait consenti à transporter en Grèce, moyennant la somme de 3 000 francs, un « groupe bariolé » de 36 volontaires, ayant à leur tête, en qualité de « général » et de « lieutenant général, » le comte de Manipuello et l’ex-étudiant Lasky au crâne d’argent. A quoi il convient d’ajouter tout de suite que ni l’un ni l’autre de ces deux guerriers ne prendront part à l’héroïque et désastreuse bataille de Pœta, où va se trouver presque entièrement anéanti le mémorable régiment des Philhellènes : ce qui n’empêchera pas Daniel Elster de reconnaître les précieux services rendus à l’artillerie grecque, durant toute la campagne, par l’expérience professionnelle du comte Jourdain de Manipuello, — infiniment supérieur, avec tous ses travers, au grotesque fantoche allemand qui lui servait de « lieutenant général » à bord de la tartane marseillaise. Et quant aux hommes rassemblés sous les ordres de ces deux chefs, la diversité de leurs provenances aussi bien que de leurs conditions sociales pouvait déjà donner à Elster une première idée de la composition du futur régiment philhellène. Il y avait là des Allemands, des Français, des Polonais, des Italiens et des Espagnols, de vénérables « grognards » de la Grande Armée et de jeunes garçons échappés du collège, pour ne point parler d’une Amazone ridicule et touchante, l’extraordinaire donna Toricelli, dont la timidité et la vantardise, mêlées d’une forte dose de coquetterie, introduisent par instans une note comique dans le sombre récit de notre volontaire.


Ce récit de la collaboration de Daniel Elster à la lutte glorieuse des Grecs contre leurs oppresseurs remplit tout le second et dernier volume d’une série de Souvenirs qui, publiés jadis en Allemagne du vivant de leur auteur, viennent d’être réédités par un petit-neveu de celui-ci, avec un bon nombre de passages nouveaux, dans la même collection de mémoires historiques où ont paru naguère les étonnans Souvenirs du professeur, soldat, et ivrogne Laukhard[1]. Aussi bien ne peut-on pas se défendre de songer à ce chef-d’œuvre de sincérité et de vie littéraire qu’est incontestablement le livre du misérable Laukhard,

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1908.