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superstitieuse dans le pouvoir de la médecine, considérée comme une sorte de divinité tantôt secourable et tantôt irritée.

Comme Orgon était un dévot de la religion, Argan est un dévot de la médecine. Et ce qu’il y a de magnifique et de profondément humain c’est que ces médecins qui exploitent sa manie, ne sont pas des aigrefins, ni des charlatans. Ils ne le sont nullement. De M. Purgon à M. Diafoirus, et de Thomas à M. Fleurant, ce sont de fort honnêtes gens, instruits pour l’époque, doués de conscience professionnelle, et dont le seul tort est d’être trop sincèrement attachés au métier qu’ils exercent, de croire trop aveuglément à l’absolu de leur art. En ces matières comme en d’autres, Molière est sceptique : tout le mal d’après lui ne vient que de dogmatisme.

Quant à la jeunesse de ce rire, et quant à l’actualité toujours nouvelle de cette satire, n’en sommes-nous pas la vivante démonstration, nous qui vivons dans la constante terreur du cruel petit dieu : microbe ?…


La critique a coutume de chercher dans les pièces de théâtre un peu de littérature, si peu que ce soit, comme ce chimiste qui se faisait fort de découvrir de l’arsenic jusque dans le fauteuil de M. le Président. Le public est moins exigeant. Ce qu’il demande au théâtre, c’est de l’amuser, ou moins encore : de ne pas l’ennuyer. Il ne s’ennuie pas à l’Idée de Françoise, comédie en quatre actes de M. Paul Gavault, que joue la Renaissance, et qui a servi de rentrée à Mlle Marthe Régnier, pour qui la pièce a visiblement été écrite. C’est une variation sur le thème de la jeune fille moderne. Françoise, petite personne bien d’aujourd’hui, s’éprend de l’ingénieur qui est venu installer le chauffage central chez ses parens. De son côté l’ingénieur, qui cumule les fonctions du fumiste avec celles de l’électricien, s’éprend de la jeune fille précise comme un chiffre, et qui lui a réglé son mémoire comme un vérificateur de profession. Pour être positive, on n’en est pas moins héroïque. Françoise ayant flairé que sa sœur se sacrifie pour la famille, et épouse à contre-cœur un vieux monsieur riche qui va les sauver de la ruine, décide de se sacrifier pour sa sœur. Elle va trouver le vieux monsieur, se jette à sa tête, et se fait demander par lui en mariage. Il va sans dire que ce sacrifice restera à mi-route, ce qui est pour un sacrifice de théâtre la seule façon d’être un sacrifice qui sait les convenances. La sœur épouse un petit amoureux, et Françoise’ sera la femme de l’ingénieur électricien qui installera lui-même le chauffage central dans leur futur appartement… Tout cela très adroitement présenté par un auteur sûr de son métier dans une action facile,