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ministres d’accord sur l’Abyssinie avaient été ceux qui ne pensaient pas à elle ; auprès de Ménélick, les agens de la France et de la Russie ne travaillaient pas d’accord. Et, comme la forme naturelle de ce désordre continu dans une volonté intermittente, c’était par des missions volontaires et rivales les unes des autres, que le gouvernement avait poussé l’Abyssinie sans la conduire. Au lieu de préparer l’Abyssinie à un rôle durable, il semblait avoir voulu la jeter, telle quelle, et embarras d’un jour, contre l’Angleterre. Et à cette course, où il semblait que tout fût de partir vite, n’avait même pas été prêté le secours si indispensable, si facile à offrir, et qui eût peut-être suffi, des médicamens et des bateaux.

Pour que le dessein, au lieu de rester une chimère, devînt une politique, il fallait changer de méthode. Nos officiers, avec l’autorité de ce qu’ils ont accompli, essaient d’inspirer confiance en un nouvel et meilleur effort. Mais l’abandon de Fachoda ne leur laisse qu’un héroïsme solitaire et comme désavoué. Ils ont été reçus avec transports à leur entrée dans l’Abyssinie, quand ils y devançaient la nouvelle des renonciations françaises. A mesure qu’ils pénètrent plus loin, elle les devance à son tour et modifie l’accueil. Ils représentent toujours l’honneur d’hier, ils ne représentent plus l’espérance de demain. Le dépositaire de la pensée nationale, l’Empereur, ignorait l’abandon de Fachoda, quand, retenu pour plusieurs semaines, il envoyait aux officiers français l’invitation de l’attendre, et par là marquait sa volonté de s’entretenir avec eux. Avant la fin de son expédition, il a été rejoint par un jeune diplomate expédié d’Angleterre, et qui a pour lettre de crédit les derniers avantages obtenus en Egypte. Ces nouvelles sont pour Ménélick des avertissemens. La légèreté avec laquelle ont été menés nos accords avec lui, la promptitude avec laquelle on vient d’abandonner ces accords et lui-même, ont ruiné sa confiance en des ententes nouvelles. Que lui reste-t-il de commun avec une France qui s’est interdit de s’approcher du pays où il règne ? C’est avec l’Angleterre, plus que jamais voisine, qu’il est contraint désormais de s’entendre. Il aurait voulu choisir son destin avec nous, il le subit avec elle. Il n’a plus rien à dire à la Mission et à son chef que son estime. Une audience y suffit. Ce jour-là, Marchand reçut la dernière blessure du sort.

Le Journal, d’une fierté si joyeuse à l’entrée en Abyssinie, marque les étapes d’un désenchantement. A mesure que la vérité se