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sans risquer leur défection. Les campagnes communes se brisent en multiples entreprises dans lesquelles chacun d’eux choisit ses moyens, et met sa ressemblance. C’est ainsi que les quatre expéditions descendues dans la plaine à notre rencontre s’étaient changées en quatre courses de pillage dans les plaines productrices de moissons, de troupeaux et de captifs, mais qu’elles s’étaient arrêtées où commence le sol infertile, que Ménélick et Tessama seuls avaient fait effort pour atteindre le Nil. Eux-mêmes en avaient été écartés par l’insuffisante préparation de leur tentative. Des embarcations étaient nécessaires pour descendre dans les plaines marécageuses, des approvisionnemens pour nourrir les hommes dans les étendues stériles, une hygiène pour conjurer les maladies et prévenir les contagions : on n’avait ni bateaux, ni vivres, ni remèdes. La marche, la faim, les miasmes de l’air, la corruption de l’eau, avaient épuisé de dysenterie et de fièvres, décimé et contraint à la retraite les envahisseurs. Le même peuple qui, dans une lutte défensive sur son propre sol, venait d’anéantir une année régulière, avait dans sa première offensive au loin et sans rencontrer un ennemi, laissé disséminer ses soldats et anéantir son effort par les seules hostilités de la nature.

Il avait donc manqué à l’Abyssinie pour rendre son concours efficace et sa force redoutable hors de chez elle, l’organisation, c’est-à-dire cet art de prévoir qui, à la guerre, fait la différence entre les nations barbares et les nations civilisées. Mais parmi les nations civilisées, une du moins avait intérêt à se servir elle-même en instruisant ce peuple. L’échec temporaire de cet enseignement tenait sans doute à la difficulté d’influer sur ce pouvoir à trop de têtes, et aussi à cet orgueil sauvage qui met son indépendance à ne pas apprendre et hait la servitude de leçons où il s’affranchirait. Le docteur avait surpris, dans l’attitude de certains parmi les vieux chefs, le mépris pour cette régularité européenne qui n’avait pas empêché les Italiens d’être vaincus à Adoua. Mais la France avait dû tenter sur cette anarchie militaire une cure de conseils. Assez influente pour pousser les Abyssins à l’action, elle n’avait pu négliger les moyens de rendre cette action efficace. C’est la trace de cette collaboration que les voyageurs cherchaient sur leur route et s’étonnaient de ne pas trouver. Au lieu d’un travail ancien et suivi, comme l’exigeait l’importance et la difficulté de l’œuvre, ils ne découvraient que des improvisations récentes et décousues. A Paris les seuls