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fortifications sont en ruines et qu’habite la solitude. Solitude hospitalière, ruines pleines d’espérance, vous êtes Fachoda.


III

Aussitôt la même ardeur, ordonnée et multiple, qui a conduit les Français jusque-là, travaille à les fixer où ils sont parvenus. A peine les hommes à terre et le drapeau hissé dans la place, on s’occupe de se ménager un réduit central, en attendant que l’on complète la défense de l’enceinte réparer. Mangin se retrouve ingénieur pour entreprendre ces travaux. Landerouin s’improvise jardinier pour semer un potager qui fournira de légumes frais la garnison. Marchand noue des relations avec le chef du pays, le Mek, et ouvre à Fachoda un marché où les indigènes apportent, pour les besoins de la garnison des denrées, des animaux, apprennent par leurs gains le profit de notre présence el, comparant noire justice et notre générosité à la violence spoliatrice de leurs chefs, indigènes, Egyptiens ou Turcs, s’accoutument à aimer notre tutelle. Il commence ainsi à préparer le protectorat de la France, car il n’est pas ambitieux de moins.

La troupe minuscule qu’il conduit serait inefficace contre les armées des Derviches, maîtres de Khartoum, ou des Anglais, en marche contre les Derviches. Que l’une ou l’autre de ces armées l’emporte, elle voudra achever à Fachoda sa victoire. Et surtout, si l’Angleterre fait l’effort nécessaire pour détruire les Mahdisles qui lui ont anéanti jusqu’au dernier un corps de 10 000 hommes et ont pris Khartoum à Gordon, elle ne se laissera pas frustrer du Haut-Nil par 200 noirs, sous la conduite de 12 Français, dans des ouvrages démantelés. Mais Marchand ne s’est jamais considéré comme un enfant perdu que la France a envoyé si loin pour tenter un coup de hasard. Il n’a accepté qu’une mission raisonnable. Il est parti de France pour coopérer à un dessein que la France ne poursuit pas seule et pour trouver sur le Nil des alliés.

La poussée de la puissance anglaise en Afrique est un coup droit à l’Abyssinie. L’Angleterre a voulu prendre ce pays : ne l’ayant pas emporté d’assaut, elle l’investit. Pour l’isoler de la mer, elle a favorisé l’ambition italienne, le long du littoral, autour du plateau éthiopien ; elle-même a continué le cercle