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pacifique, des guerres avec les indigènes eussent retardé et refermé derrière nous le passage qu’il fallait tenir ouvert pour les communications et les ravitaillemens : puisqu’on renonçait au pillage, il fallait voyager avec les approvisionnemens nécessaires à la troupe et les marchandises de troc destinées aux naturels. A travers l’Afrique centrale, rien ne se transporte que réduit en charges assez minimes pour passer, à travers l’étroitesse des sentes, sur la tête des porteurs : négocier de pays en pays, pour le transport d’un tel bagage, le concours volontaire de tant d’hommes, eut perdu le temps de l’expédition, payer leurs services eût épuisé les marchandises de troc. On s’avisa que les meilleurs chemins d’un pays neuf sont les fleuves. Ils deviendraient à la fois les chemins et les porteurs, les chemins aplanis, les porteurs infatigables et gratuits. De là tout le plan : partir du Gabon français, gagner la rive française du Congo, remonter ce fleuve, puis l’Oubanghi, puis le M’bomou, s’élever, d’affluens en affluens, aussi haut et aussi loin qu’on pourrait vers le plateau qui sépare les bassins du Congo et du Nil, user seulement là de la voie terrestre, et traverser dans sa moindre largeur cette ligne de partage pour gagner le plus proche des affluens navigables qui coulent vers le Nil. On ne savait rien de la région haute ni de ses races indigènes ; mais, grâce à l’empire naguère étendu par l’Egypte sur la vallée du Nil, le confluent du Soueh dans le Bahr-el-Gazal, et du Bahr-el-Gazal dans le Nil étaient connus.

Ainsi, au moment où les Anglais, pour reconquérir le Soudan sur les Mahdistes, formaient au Caire une armée, deux cents noirs du Sénégal, conduits par une douzaine d’officiers français, partirent du Gabon pour atteindre avant les Anglais le Haut-Nil. Jusqu’au M’bomou, la plus grande difficulté avait été de compléter le matériel nécessaire à l’expédition, de le répartir sur une batellerie de plus en plus légère, et de remonter un petit vapeur, le Faidherbe. On ne voulait pas s’en séparer, parce que l’on comptait sur lui pour descendre vers Fachoda le bagage encombrant, et pour être sur le Nil une vedette rapide. A la place où, dans le bassin du Congo, l’eau cessa de porter nos coques, la domination française atteignait aussi sa limite. Pour s’avancer plus loin sans guerre, il faut obtenir la permission de petits chefs. Les négociations s’allongent, car le temps n’a pas de prix pour eux et ils sont avides, mais elles réussissent à