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plus lié que les événemens n’avaient dans l’indépendance de leurs simultanéités, une apparence d’action plus une, plus simple, plus facile, plus brève qu’elle ne se succéda, et, par la logique de l’exposé, une sorte de force directrice et d’élan continu, même dans les entreprises qui furent les plus interrompues et les plus lentes, au long cours des heures incertaines. Cette synthèse ne ressuscite pas dans les détails l’existence imposée à ceux qui agissaient, et c’est par le détail qu’on souffle, qu’on persévère, qu’on se dévoue, qu’on fait son métier d’homme et son apprentissage de héros. Ces notes sont le mémorial de l’éphémère que dédaigne l’histoire. Elles honorent l’humilité des taches obscures, le zèle qui s’épuise souvent avec le plus de générosité où il obtient le moins de résultat, l’anxiété qui ne fut pas moins poignante la veille pour avoir été rassurée par le lendemain. Elles imposent par leurs répétitions monotones, le sentiment de ce qu’ajoute, même aux épreuves tolérables si elles étaient courtes, la continuité tombant goutte à goutte. Elles montrent, surtout, par la constance et l’ubiquité des efforts voués à un seul dessein, quelle force d’inertie les choses opposent aux hommes, et combien de fois et sur combien de points il faut la vaincre pour être maître d’une place et d’une heure.

Pourquoi M. Emily, qui fut de la Mission dès le début, au cours de 1896, n’ouvre-t-il pas son Journal avant la fin de 1897, et commence-t-il son récit au milieu des événemens ? La pensée que rien en nous ne se fatigue vite comme l’admiration l’a-t-elle empêché de raconter jour par jour une belle œuvre de trois années ? Je regrette ce qui manque. Laquelle eût paru trop longue à lire, de ces épreuves que des Français n’avaient pas trouvées trop longues à supporter ? Certain qu’il resterait assez de gloire à ces Français, même dans un exposé incomplet de leurs actes, l’auteur a-t-il voulu supprimer tout ce qui n’avait été que préparation à l’acte décisif ? Mon regret s’augmente, car il me faut suppléer à ce silence et dire d’abord deux mots de cette préparation.

Pour parvenir au Nil, une force française ne pouvait en Afrique s’organiser que sur un sol français, et elle avait intérêt à s’avancer aussi loin que possible par territoire français : ces deux motifs avaient imposé la route par le bassin du Congo. La marche devait, même au-delà de nos possessions, rester