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aisément avec les élémens grecs qu’avec les élémens slaves.

Toutes ces considérations d’intérêts matériels se sont évanouies en un instant en face d’un intérêt plus élevé ; une vague de fond de l’opinion publique a emporté les digues que la prudence des gouvernemens mettait au torrent des passions nationales. Depuis longtemps ces peuples frémissaient d’impatience au spectacle des misères de leurs frères demeurés sous le joug des Turcs ; l’heure vint où les rois et les ministres sentirent que, si eux-mêmes ne prenaient pas la direction du mouvement, il serait assez fort pour les emporter. La guerre actuelle est vraiment la guerre des peuples. Elle donne le plus éclatant démenti à ceux qui vont répétant que ce sont les princes qui font la guerre pour satisfaire leurs ambitions, « pour faire cuire leur œuf, » et que les peuples, laissés à leurs spontanéités pacifiques, se tendraient les bras. La guerre sort, presque fatalement, de tout un enchaînement de difficultés enchevêtrées mais qui dérivent toutes d’une même contradiction initiale ; elle est l’inévitable aboutissement d’un long processus dont les origines sont souvent lointaines et obscures, et dont le terme est le choc de deux peuples, le heurt de deux passions.


III

Les grands élans qui soulèvent l’âme des foules, font vibrer tous les cœurs à l’unisson et bandent toutes les énergies vers un seul but, sont préparés, dans l’intimité de chaque Ame, par un profond et sourd travail qui s’accomplit presque inconsciemment et dont le résultat vient éclater au grand jour à l’heure, impossible à prévoir, où un choc, parfois léger, mais décisif, ébranle les esprits et les jette dans l’action. Chez les petits peuples balkaniques, ce lent travail de préparation se révélait, li certains signes, dans le domaine des faits matériels.

L’Europe n’a pas assez rendu justice au travail et aux progrès si rapidement accomplis par les trois petits Etats slaves, par la Roumanie leur voisine, et, dans une moindre mesure, par la Grèce ; elle a favorisé de tout son pouvoir, et d’ailleurs sans succès, l’expérience de la Jeune-Turquie, mais l’admirable effort des petits peuples l’a laissée indifférente. Le Congrès de Berlin ne s’était pas préoccupé de leur donner des frontières raisonnables, ni de les placer dans des conditions où la vie leur fût