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des torts aussi vis-à-vis d’elle[1]… » Un mois plus tard, le 6 août : « Le commencement de la campagne n’est pas heureux. Le prince Henri (de Prusse) étant entré de tous côtés de la Saxe avec force, Laudon[2]n’a pas cru pouvoir lui tenir tête et s’est replié… Voulant sauver mes États de la plus cruelle dévastation, je dois, coûte que coûte, chercher à me tirer de cette guerre. Il ne convient pas à la France que nous devenions subjugués à notre cruel ennemi. Nos alliés nous aideront à nous tirer d’affaire avec honneur. »

À ces nouvelles, à ce langage, on imagine la peine et l’embarras de Marie-Antoinette. « Depuis que la Reine a reçu la nouvelle de l’invasion des troupes prussiennes en Bohème, lit-on dans une correspondance du temps, elle a perdu toute sa gaieté ordinaire. Elle est rêveuse, soupire, cherche la solitude. » Son angoisse agit sur ses nerfs. Elle s’en prend tour à tour à Louis XVI et à ses ministres. Le Roi la trouve un jour « en larmes » dans sa chambre ; fort affecté par ce spectacle, il lui exprime son vif chagrin de l’impossibilité qu’il trouve, « dans l’intérêt de son royaume, » à rien faire pour venir au secours de l’Autriche. Mais elle n’écoute rien, elle persiste à pleurer, à accuser le Cabinet de faiblesse, d’égoïsme et presque de lâcheté. Avec le comte de Maurepas, « sa bête noire, » elle le prend de plus haut. Le vieux ministre ayant voulu, selon sa méthode habituelle, pour colorer ses résistances, amadouer la souveraine par quelques bonnes paroles, se retrancher derrière des formules ambiguës, la Reine redresse la tête et enfle soudainement la voix : « Voici, Monsieur, dit-elle, la quatrième ou cinquième fois que je vous parle des affaires. Vous ne m’avez jamais fait d’autre réponse. Jusqu’à présent, j’ai pris patience ; mais les choses deviennent trop sérieuses, et je ne veux plus supporter de pareilles défaites[3] ! » Au courant de cette algarade, Mercy se voit contraint de prêcher la douceur, de supplier la Reine de ménager l’ami du Roi, par crainte de l’offenser et d’augmenter ses dispositions malveillantes. Mais la Reine s’y refuse, en alléguant « qu’il y aurait de la bassesse à montrer de la bonté envers un homme dont elle avait trop à se plaindre ! »

  1. Lettre du 7 juillet 1778. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Le baron de Laudon, généralissime des armées autrichiennes.
  3. Dépêche de Mercy, du 17 juillet 1778. — Correspondance publiée par d’Arneth.