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nécessités publiques. Si Louis XVI eut montré, dans la politique intérieure, la même clairvoyante fermeté qu’il conserva presque toujours dans les choses du dehors, la même ténacité courtoise à maintenir ses propres idées contre celles-de sa femme, que de mal il eût évité, quelles fautes il n’aurait pas commises !


VI

La résistance de Louis XVI et de ses ministres suscita tout d’abord à Vienne une indignation violente. Kaunitz, d’ordinaire mesuré, ne trouve pas assez d’invectives pour flétrir l’attitude de ces pusillanimes alliés, qui poussent, ainsi qu’il dit, l’Autriche à acheter la paix avec ignominie, — entendons par là restituer ce qu’elle s’est adjugé sans droit, — chose, ajoute-t-il, que le roi de Prusse lui-même n’avait pas osé proposer ! » Lorsque Frédéric II, quelques semaines plus tard, pose à son tour le même ultimatum, Kaunitz s’emporte contre lui et fulmine de plus belle : « Il faut être, le diable m’emporte, le roi des fous pour faire des propositions pareilles, et des imbéciles comme MM. de Maurepas et de Vergennes pour ne point en avoir senti l’absurdité[1] ! » Par malheur, les injures ne remédiaient à rien. Dans les premiers jours de juillet, on apprenait que, passant des paroles aux actes, Frédéric II, avec l’assentiment tacite de la France et de la Russie, faisait filer une armée en Bohême, où elle campait en face des Impériaux. Le point choisi pour la concentration était un petit bourg, au nom alors obscur, aujourd’hui trop célèbre : il s’appelait Sadowa.

II est curieux et instructif de noter le changement à vue qui s’opère, dès ce jour, dans les dispositions de la Cour impériale. Décidément, l’aventure tournait mal et l’on risquait de récolter des coups. Aussi les paroles de colère et les airs de bravoure faisaient-ils soudain place aux gémissemens, aux adjurations éplorées : « Nous voilà en guerre, mande l’Impératrice à Mercy ; c’est ce que je craignais depuis janvier. Et quelle guerre, où il n’y a rien à gagner et tout à perdre ! Le roi de Prusse est entré en force à Nachod ; il va nous entourer de tous côtés, étant plus fort de 40 000 hommes que nous… Il est sûr que la France nous a fait bien du mal par ses cachotteries. Nous avions bien

  1. Lettre à Mercy du 1er juillet 1778. — Correspondance publiée par Flammermont.