Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

interdisait tout retour en arrière. Il était un peu lent à décider quelle voie il devait suivre, mais, une fois engagé, il y marchait sans défaillance, avec une constance inflexible. C’était ce dont l’armée avait le plus besoin. Si la carrière antérieure de Ségur semblait, comme disait un contemporain[1], « en faire un homme plus propre à se battre contre les ennemis de l’Etat qu’à s’astreindre à un travail de cabinet, » on devait espérer qu’il trouverait dans sa force d’âme l’instrument nécessaire pour réprimer l’indiscipline qui, grâce à Montbarey, commençait à gagner « tout le corps militaire. »

À ces raisons d’intérêt général, Besenval ajoutait d’autres motifs particuliers. La douairière de Ségur, mère du futur ministre, était en grande liaison avec la comtesse de Maurepas, ce qui, sans doute, empêcherait cette dernière de témoigner une hostilité trop directe au fils de son ancienne amie. Ce choix présenterait encore l’avantage d’être agréable à Choiseul et aux siens. Dix ans plus tôt, lors de l’exil du duc, Ségur avait été l’un des premiers à faire, comme on disait alors, « le pèlerinage de Chanteloup ; » son nom, dans le parc du château, était inscrit sur la fameuse colonne. Le renfort du « parti Choiseul » n’était pas négligeable ; il ferait impression sur Marie-Antoinette.

Aux argumens ainsi développés par Besenval, ni Vaudreuil, ami de Ségur, ni d’Adhémar, qui avait servi sous ses ordres et lui devait, en partie, sa fortune, ne pouvaient faire de sérieuses objections. Ils se rallièrent à cette idée et promirent leur concours. Vaudreuil se chargea de gagner Mme de Polignac, sur l’esprit de laquelle il avait grand empire, et il y réussit sans peine. La duchesse, à son tour, prit l’engagement d’agir sur Marie-Antoinette. Elle y mit beaucoup de chaleur. Elle put bientôt annoncer au trio qu’elle avait rempli son office et que la Reine avait définitivement adopté « et le renvoi de M. de Montbarey et la nomination de M. de Ségur[2]. »

Restait à convaincre Necker. Ce fut la part que se réserva d’Adhémar. Ce dernier, depuis quelque temps, au témoignage de Besenval, « courtisait d’autant plus le directeur général des finances, que celui-ci avait tout l’air de devenir un jour le maître. » Il avait, en le cajolant, trouvé moyen « de se mettre

  1. Lettres historiques, politiques et militaires du chevalier de Metternich, décembre 1780.
  2. Mémoires de Besenval, tome II.