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Pendant ce temps, dans le camp opposé, on se livrait à semblable recherche. A quoi bon, en effet, congédier Montbarey, si l’on n’avait pas sous la main, prêt à mettre à sa place, un homme sur qui l’on pût compter ? La légèreté de Marie-Antoinette ne permettait guère d’espérer qu’elle fit elle-même ce choix avec discernement. Il y eut donc, dans le parti, des entretiens préparatoires et des conciliabules dont il parut inutile de l’instruire[1]. Trois hommes, que l’on a déjà rencontrés au cours de cette étude, se tirent, avec Mme de Polignac, les promoteurs de l’entreprise, trois hommes qui, depuis quelque temps, semblaient être d’accord pour se partager l’influence : l’un était le comte de Vaudreuil, qui, dans la coterie de la Reine, symbolisait la droiture, la conscience, l’autre le comte d’Adhémar, qui y apportait l’agrément d’un esprit fin, délié et fertile en ressources, enfin le baron de Besenval, qui y représentait l’audace. A en croire ce dernier, — lequel, dans ses Mémoires, a conté, tout au long, les détails de cette crise, — c’est lui qui a, du début à la fin, tout fait, tout organisé, tout conduit. Il faut, dans son récit, faire la part de sa hâblerie et remettre les choses au point. Il n’en est pas moins établi que c’est réellement Besenval qui, dans le cours d’un entretien avec Vaudreuil et d’Adhémar, prononça le premier, pour le portefeuille de la Guerre, le nom du marquis de Ségur, et le fit agréer, d’abord par ses amis, par la duchesse de Polignac ensuite, finalement par Necker, avant d’en parler à la Reine.

Compagnon d’armes du marquis de Castries depuis le temps de leur commune jeunesse, Ségur avait, comme lui, fait une belle carrière militaire. Malgré de graves blessures, — notamment le bras gauche emporté à Lawfelt, — il conservait une grande activité, tant morale que physique. Il était alors gouverneur de Bourgogne et de Franche-Comté, et il venait de déployer, dans l’administration de ces deux provinces agitées, des qualités qui lui avaient valu l’estime de ceux qui l’avaient vu à l’œuvre. Il avait un esprit plus solide que brillant, un courage à l’épreuve dans toutes les circonstances. Le trait marquant de son humeur était une sorte de fermeté froide, d’énergie mesurée, qui, lorsqu’il avait pris un parti, excluait toute hésitation,

  1. J’ai consulté, pour l’épisode qui suit, le Journal de Véri, le Journal de Hardy, les Mémoires de Besenval, les Souvenirs et anecdotes du comte de Ségur, les Lettres de Kageneck, etc.