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l’esprit de l’ancien ministre. Ses partisans s’agitent ; la Reine, à leur instigation, multiplie dans l’oreille du Roi les suggestions, les conseils officieux : Maurepas est bien âgé pour conduire une grande guerre, Vergennes bien timide et bien mou pour négocier avec le gouvernement britannique ; un seul homme serait propre à « remonter les ressorts de la politique, » et ce serait Choiseul[1]. À ces insinuations Louis XVI, jusqu’à ce jour, ne répondait que par des « paroles évasives, » mais peut-être, à la longue, cette idée, cent fois ressassée, germerait-elle dans son esprit.

Le champ clos désigné pour la première rencontre était le département de la Guerre, confié depuis trois ans au prince de Montbarey. Le successeur du comte de Saint-Germain n’avait que trop bien justifié les pronostics formés par toutes les personnes éclairées lors de son avènement. Administrateur par métier, mais courtisan par goût, il songeait moins à gouverner qu’à plaire. Arrivé par l’intrigue, il se maintenait par la faveur. À peine au ministère, il avait cherché tout d’abord, — ce qu’on ne peut lui imputer à crime, — à adoucir la rigueur excessive de certains règlemens qu’avait édictés Saint-Germain, et il s’était acquis par là, tant dans les hauts états-majors que dans les rangs inférieurs de l’armée, une popularité facile. De plus, recevant tout le monde et écoutant tous les avis, promettant à chacun ce qu’il semblait souhaiter, il s’était attiré, par ce contraste avec l’accueil sévère et la mine rogue de son prédécesseur, d’assez vives sympathies dans le monde de la Cour. Mais on avait vite découvert ce que ces séduisans dehors et cette aimable humeur cachaient de légèreté, de négligence et d’incurie. Voluptueux et cupide, faisant toujours passer ses intérêts ou ses plaisirs avant les devoirs de sa charge, non seulement, la plupart du temps, il laissait ses commis (brider seuls sur les plus importantes affaires, mais ces derniers obtenaient à grand’peine qu’il lût le travail préparé et qu’il signât les ordres. Les bureaux décrétaient et administraient à leur guise ; le ministre s’enrichissait, passait ses nuits et ses journées en fêtes.

Le pire était que la guerre avec l’Angleterre donnait maintenant d’assez sérieux mécomptes. Les heureux succès du début

  1. Journal de Véri. — Correspondance publiée par d’Arneth.