Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/312

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il fut donc entendu entre Louis XVI et son vieux conseiller qu’on renverrait Sartine et qu’on nommerait Castries à sa place.

Sartine, pendant ce temps, était fort loin de se douter du coup qui s’apprêtait. La veille, il avait diné à Paris, chez Gilbert de Voisins, conseiller au Parlement, et s’y était montré enjoué, d’humeur charmante[1]. Aussi fut-il bien surpris le lendemain, lorsque, à trois heures après midi, dans son appartement de Versailles, tandis qu’il conférait avec le comte d’Aranda, ambassadeur d’Espagne, on lui annonça la visite du sieur Amelot, ministre de la Maison du Roi, « porteur d’un message de Sa Majesté. » Le billet de Louis XVI était ainsi conçu : « Les circonstances actuelles me forcent, Monsieur, de vous retirer le portefeuille de la Marine, mais non mes bontés, sur lesquelles vous pouvez compter, vous et vos enfans, dans toutes les circonstances. — Louis. » Amelot était chargé d’ « insinuer », par surcroit, que le désir du Roi serait que tout se fit avec célérité et que le ministre déchu cédât, sans perdre temps, la place à son successeur désigné[2]. Ainsi fut fait. Sartine, encore que « foudroyé » du coup, vaqua en hâte à ses préparatifs ; une heure plus tard, il montait en carrosse et roulait vers Paris.

Maurepas, dans l’intervalle, reprenait ses esprits. Le renvoi de Sartine l’offusquait moins que le choix du marquis de Castries, nommé sans son concours et contre lequel, on le sait, il nourrissait des préventions. « C’est un bon militaire, mais je ne le crois pas bon marin, confia-t-il à l’abbé Georgel. Le Roi a été entraîné. » Il ajoutait pourtant : « La chose est faite ; on peut en essayer. » C’était, en pareil cas, sa formule favorite[3]. Quelques instans plus tard, causant avec sa femme et son ami le duc de Nivernais, tous les deux au pied de son lit, il agita de nouveau la question : « Il faut sacrifier Sartine, conclut-il avec un effort, puisque nous ne pouvons pas nous passer de Necker. » Il eut, le même jour, la visite du directeur général des finances, qui, ignorant la démarche du Roi, venait rendre compte au Mentor. Celui-ci l’accueillit froidement : « Le Roi, dit-il, vient de m’en instruire lui-même. Je désire qu’il ait fait un bon choix. » Puis, d’un ton sec et ironique : « Vous êtes sûrement

  1. Journal de Hardy, 15 octobre 1780.
  2. Ibidem.
  3. Mémoires de l’abbé Georgel.