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manufactures, le sieur Bertin enfin, se vit un beau jour congédié, sans motif déclaré, sans avertissement préalable. Son emploi était supprimé, ses attributions réparties entre ses collègues de la veille[1]. Sans doute ce médiocre et vieux petit homme, dernier débris des serviteurs du règne précédent, jusqu’à cette heure préservé du renvoi par son insignifiance, ne jouait dans le gouvernement qu’un rôle bien effacé. On le soupçonnait cependant d’être, en secret, hostile au directeur général des finances, de favoriser sournoisement ce qui se tramait contre lui. Necker, en obtenant qu’il fût mis hors du ministère, s’assurait le double avantage d’exonérer le trésor de l’État d’une charge superflue et de se délivrer lui-même d’un adversaire établi dans la place. Malgré les dédommagemens accordés aux anciens services de Bertin, — une grosse pension, un logement à Versailles, — sa démission forcée fut partout regardée comme une sérieuse victoire pour le directeur général, une première manche gagnée dans la partie en cours.

Il semble bien que ce succès ait, en effet, encouragé Necker à frapper le grand coup. Il crut pourtant qu’il lui fallait d’abord chercher, dans l’entourage du trône, un concours solide et précis, qui appuierait son mouvement offensif. Mme de Polignac, l’amie de Marie-Antoinette, lui parut la plus propre à remplir ce rôle de confiance. J’ai dit les grâces exorbitantes accordées par la Reine à la comtesse, à sa famille et à certains de ses amis, notamment au comte de Vaudreuil et au comte d’Adhémar. Necker, jusqu’à ce jour, s’était constamment opposé, au nom de l’intérêt public, à ce que ces largesses, — pensions, paiemens de dettes, dotations sous diverses formes, — présentaient vraiment d’excessif, et, bien que toujours modérée, respectueuse dans les termes, sa résistance n’en était pas moins énergique. « Ses représentations à la Reine, le langage qu’il m’avait tenu, affirme Mercy-Argenteau[2], devaient me convaincre qu’il était en opposition directe avec les favoris. » On imagine donc la surprise, ou, pour mieux dire, le scandale de l’ambassadeur, lorsqu’il découvre soudainement que cette opposition s’est transformée en une sorte d’entente, discrète, mais évidente, qu’entre le directeur et la « société » de la Reine,

  1. Gazette de France du 30 mai 1780. — Journal de Hardy, mai 1780.
  2. Lettre à l’Impératrice du 18 novembre 1780. — Correspondance publiée par d’Arneth.