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cette heure, ma tête est bien plus posée, et elle peut compter que je sens bien mes devoirs sur cela. D’ailleurs, je le dois au Roi, pour sa tendresse et, j’ose dire, sa confiance en moi, dont je n’ai qu’à me louer de plus en plus[1]. »

Ce qui n’a pas changé, ce qui ne changera guère jusqu’aux dernières années du règne, c’est l’influence exagérée de la société de la Reine, qui, du reste, à présent est presque devenue la société du Roi, c’est cette condescendance extrême envers les favoris, qui, à la Cour comme dans le peuple, excite tant de murmures et provoque tant de haines ; et c’est aussi la désolante passion du jeu, qui ne semble parfois faiblir que pour reprendre ensuite avec plus de fureur. Durant l’automne de 1779, le séjour de Marly fut, à cet égard, désastreux. Non seulement Marie-Antoinette et son beau-frère, le Comte d’Artois, y réinstallent ouvertement, dans le salon du Roi, le jeu du pharaon, qui en avait été proscrit, mais ils parviennent à y entraîner avec eux le vertueux, l’économe Louis XVI ; et celui-ci paraît y prendre goût au point d’épouvanter Maurepas. « Vous pensez bien, confie le vieux ministre à l’oreille de Véri, que, si ce goût-là devient considérable, je n’ai plus rien à faire ici et que je dois m’en aller[2]. » Le bonheur fut que Louis XVI n’eut aucune chance au jeu ; il perdit en quelques soirées plus de 1 800 louis ; cet insuccès le refroidit si bien qu’il se jura d’abandonner les cartes ; il tint scrupuleusement parole[3]. La Reine, bien qu’aussi maltraitée, n’eut pas le même scrupule : les mêmes folies continuèrent à creuser dans la cassette royale le même gouffre, toujours plus large et plus difficile à combler.

Ce perpétuel besoin d’argent, les embarras qui en étaient la suite, joints aux conseils de la Cour impériale, furent ce qui contribua le plus à rapprocher la Reine du directeur général des finances, à établir entre eux l’espèce d’« alliance » que relatent les mémoires du temps. Non qu’il faille en croire la légende, accréditée parmi le populaire et recueillie dans les notes de Hardy, d’après laquelle Necker aurait, de ses propres deniers, soldé tout ou partie des dettes de Marie-Antoinette et versé dans sa caisse jusqu’à 1 500 000 livres[4]. Rien n’autorise une telle

  1. Lettre du 16 août 1779. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  2. Journal de l’abbé de Véri, 1779.
  3. Lettres de Mercy à l’Impératrice du 17 novembre 1779. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  4. Journal de Hardy, 1779.