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autrichien sur la valeur de son alliée. En parcourant nos principales provinces, Joseph avait eu beau dénigrer, censurer, morigéner sans cesse, remarquer avec clairvoyance et dénoncer avec aigreur les abus, les vices, les faiblesses de l’administration française, il n’avait pu, toutefois, ne pas constater de ses yeux, avec un étonnement mélangé de dépit, quelle force et quelle richesse représentait, dans la réalité, la nation sur laquelle régnaient sa sœur et son beau-frère. Il avait comparé, comme le dit un contemporain, ce territoire « fertile et partout habité, » ce peuple laborieux, cette bourgeoisie économe et cossue, aux provinces misérables, aux grands espaces déserts, aux populations indigentes, dont, en tant de régions, se composait alors l’Empire. Il avait comparé, surtout, ce pays homogène, « arrondi, sans enclaves ni solution de continuité, » à ses États faits « de lambeaux et de pièces rapportées. » Il avait cruellement souffert de ces comparaisons. Arrivé chez nous en curieux, en curieux malveillant, il en était sorti « dévoré de jalousie, » hanté par des rêves d’ambition, brûlant de trouver l’occasion d’agrandir son domaine et de développer sa puissance. Cette occasion propice, il crut la rencontrer, lorsqu’il apprit, le 30 décembre 1777, le décès de Maximilien-Joseph, électeur de Bavière, mort sans enfans, sans héritiers directs.


Certes, c’eut été là, pour l’Empire, une riche proie. La Bavière, en effet, aux mains de Joseph II, lui assurerait la communication avec ses provinces du Midi, avec ses provinces du couchant ; le Danube, a-t-on dit, « n’aurait plus cessé désormais de couler dans ses terres. » Peut-être même, qui sait ? une fois nanti de ce bel héritage, pourrait-il s’annexer un jour le duché de Wurtemberg et s’étendre ainsi vers le Rhin, ce qui lui permettrait « d’atteindre directement la France[1]. » Joseph II, à cette perspective, se sentit comme pris de vertige. Il résolut de tout oser pour s’assurer tout ou partie de la succession convoitée. L’héritier naturel de l’électeur défunt était son cousin Charles-Théodore, électeur palatin, prince modeste et timide. Par persuasion ou par menace, il paraissait aisé de s’entendre avec lui. On ferait valoir certains droits, qui remontaient au XVe siècle, sur une moitié de la Bavière, et l’on offrirait en échange

  1. Mémoires sur le règne de Louis XVI, par Soulavie, tome IV.