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influence sur la destinée de Simone, Mme Belloni étant (par bonheur) la sœur de Serge le sadique. Mais enfin, chacune des anecdotes se développe sans l’intervention des autres. Et ce roman réaliste, conçu, — ne le voit-on pas ? — à la manière des romans d’Emile Zola (si curieux de faire entrer dans son volume une ample dynastie bourgeoise), ce roman réaliste ressemble à ces romans dits « à tiroirs » dont la Zaïde de Mme de La Fayette est, je crois, le dernier modèle. Puis, Mme de La Fayette abandonna ce genre démodé ; elle écrivit La Princesse de Clèves, roman simple de lignes, d’un intérêt si concentré : elle inventait le roman moderne.

Le roman de M. Paul Margueritte a l’inconvénient des romans à tiroirs. La lecture en est discontinue. Vous vous attachez à l’histoire des aimables Jacquemer : soudain, voici l’histoire du pauvre Le Jas ; et vous lui accordez votre sympathie. Mais n’oubliez pas l’histoire de Florent ; et Florent vous impatiente. Vous lui pardonnez son intrusion ? Survient l’histoire de Miche et d’Antoine ; survient l’histoire de Simone ; survient une perpétuelle diversion. Vous êtes éperdu, parmi tant de touchantes personnes qui sollicitent votre amitié. Vous n’avez point un assez grand cœur pour tant de monde ; ah ! quel cœur réclame de nous un nombreux roman réaliste !…

C’est ainsi dans la réalité ?… Oui : chacun des êtres qui font une collectivité est un petit univers digne de nos regards et de nos prédilections ; et nous passons auprès de la vie étourdiment, faute de savoir où nous arrêter.

Mais l’artiste n’a-t-il pas à guider notre choix ?… Alors, qu’il choisisse ! L’art n’est-il pas la volonté de l’ordre, imposée au multiple hasard de la réalité ?

Or, le réaliste, lui, refuse de choisir, afin de ne pas modifier le spectacle que lui offre la vie. Singulière prétention, et qui va tout net à l’encontre des principes de l’art ! Impossible prétention et qui aboutit à de faux semblans. Et l’on choisit, en ayant l’air de subir les exigences du dehors ; et l’on ordonne avec beaucoup de soin les apparences du désordre.

La littérature réaliste (comme aussi la peinture réaliste) est partie de ce sentiment : la haine du « sujet. » Elle n’a pas vu, dans la réalité, se combiner de ces tableaux où le motif principal est au milieu, environné des élémens du paysage. Elle a honni cet arrangement ; et elle a fabriqué d’autres arrangemens, un peu moins naïfs, beaucoup moins naturels, où le hasard est choyé comme ailleurs le sujet.