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d’agrément. Mais elle convient qu’en ces sortes d’affaires, il est des occasions qu’on n’a pas le droit de laisser échapper ; or le commun séjour dans cette maison machinée à souhait pour les passades est une de ces occasions. Et elle donne rendez-vous à Gilbert pour cette nuit même, minuit et demi, dans sa chambre : c’est la pièce au-dessus du salon, la seule porte sur le palier du premier étage, une veilleuse en cristal rouge devant la porte. Il n’y a pas moyen de se tromper…

Meurtrie, torturée, affolée par ce qu’elle a entendu, Florence, qui revient en scène, trouve sur son passage l’empressé Jincour : elle ne songe guère à lui cacher le désarroi où l’a jetée l’affreuse révélation. Comment accueille-t-il cette confidence ? Mais comment voulez-vous qu’il l’accueille ? C’est un dogme à l’usage des roués que, dans toute campagne amoureuse, l’essentiel est le choix du moment. Savoir attendre, c’est le grand art. Il n’est vertu si farouche dont on ne puisse, à une certaine minute, dans de certaines circonstances, sous telles influences physiques ou morales, avoir raison. Le séducteur est celui qui d’instinct arrive à cette minute. Florence planait dans son rêve ; elle est désabusée : qu’elle prenne enfin la vie pour ce qu’elle est ! Elle a été trompée : une femme a toujours une vengeance prête. En toute simplicité, Jincour s’offre pour être le consolateur et le vengeur… La scène est terriblement scabreuse ; ou plutôt, elle le serait, si nous pouvions un seul instant douter de Florence. Mais ce qui déjoue la rouerie des libertins, c’est qu’ils ne croient pas à l’honnêteté de l’honnête femme, et qu’elle est pourtant un fait, le plus irrécusable et le plus irréductible des faits. Une femme telle que Florence peut souffrir et peut mourir : elle ne peut pas souiller l’image de pureté qui est en elle. Quand donc elle donne rendez-vous à Jincour pour cette nuit, nous comprenons bien que ce rendez-vous est un piège : nous l’avions deviné avant même d’avoir entendu que la chambre où Jincour doit la rejoindre, à une heure, est la chambre au-dessus du salon, la seule porte sur le palier du premier étage, une veilleuse de cristal rouge devant la porte…

Le troisième acte présente, dans toute son ampleur, un dénouement auquel nous menait la logique de la situation et que l’auteur a savamment combiné. Il a pour cadre cette chambre du premier étage dont il a été beaucoup parlé, Gilbert y a rejoint Micheline, lorsque leur duo amoureux est interrompu par un coup frappé à la porte, et par une voix qu’ils reconnaissent pour être celle de Florence. Celle-ci, qui veut se donner cette pauvre joie de punir ses bourreaux, laisse les deux complices, surpris avant la faute,