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D’ordinaire, les éplorés se contentent de dire : « Mon âme est seule ; mon âme est triste ; mon âme est repliée : elle est bien malheureuse. » Ils s’arrêtent là. M. Mauriac se reprend et sait se dire : « Et celle des autres ! » et tout l’égotisme romantique disparaît aussitôt. C’est infiniment touchant et c’est très sain.


L’âme pleure d’être inconnue. Elle s’étonne
Qu’on passe indifférent à ses yeux de langueur.
Elle ne songe pas qu’il est d’autres automnes
Tristes comme le sien, au fond de tous les cœurs.

Elle voit seulement les larmes qu’elle pleure
Et pense qu’il n’est pas au monde d’autre nuit
Que celle appesantie au toit de sa demeure
Et que les autres ont le bonheur qui la fait.

Lasse de s’émouvoir à la douceur des voix
Du passé qu’elle aimait jadis à reconnaître,
L’âme regarde un peu ses larmes d’autrefois,
Sans plus se rappeler ce qui les a fait naître.

Elle n’éveille plus le bon désir de vivre,
Ni même de trouver un soir les yeux élus ;
Détachée à jamais, elle ne cherche plus
Celle qu’il faut aimer ni celui qu’il faut suivre.


L’amour, la femme, comme je l’ai dit, passent très rarement à travers ses vers. On les y trouve cependant, très discrètement évoqués, sous forme, ou d’amour d’hier qui a déçu et laissé un goût de cendre, ou, — vous vous y attendiez, — sous forme d’un amour ancien, d’un amour d’enfance qu’on sent qui doit demeurer ce qu’à, jamais on a goûté de meilleur. Amour d’hier :


Je veille seul dans la demeure ensommeillée,
Je veille seul avec mon cœur triste à mourir ;
La lampe assiste humble et fidèle à la veillée,
Comme un ami devant lequel on peut souffrir.

Mes lèvres ont goûté l’amertume des joies.
J’ai connu la détresse où la gaîté se noie,
Le désir et la peur de me mettre à genoux,
Et les larmes, au creux des plus ardentes joies,
Du pauvre amour trompé que nous portons en nous.