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général fut adressé à Condé pour lui tracer les grandes lignes d’une diversion qu’on attendait de lui.

« Le Roi, lui manda Soubise, veut que vous veniez à Giessen dans la Hesse. » C’est alors qu’on vit Condé se surpasser comme manœuvrier. Le but de ses opérations ultérieures consistait à laisser un rideau le long du Rhin, en Westphalie, et à se rapprocher de l’armée des maréchaux dans la Hesse, pour grossir leur nombre ou les appuyer, « afin, selon l’expression du maréchal, de donner jalousie à l’ennemi. » Son jeu était par suite de marcher vite et de se dérober à tout engagement, tant qu’il n’aurait pas fait jonction ou du moins ne se trouverait pas en liaison avec le gros de l’armée, vers Marbourg, dans cette région montagneuse de la Hesse où il pourrait profiter de l’avantage du terrain. Mais le voilà bientôt retardé dans sa marche par la difficulté des distributions de vivres, parce qu’il traverse un pays pauvre ou dévasté, au milieu de populations hostiles. « Il ne peut, assure-t-il, faire plus grande diligence. » Les troupes sont harassées par des marches forcées. Tout ce qu’il lui sera possible d’accomplir, ce sera d’arriver vers le 8 août sur l’Ohm[1], et il s’attend à ce que l’ennemi lui en dispute le passage. « Voulez-vous, écrit-il à son beau-père, que je l’attaque, si j’en trouve la possibilité ? En tout cas, il me parait difficile, dans la situation où sont les choses, que je puisse vous joindre sans me commettre à combattre… Je vous amène 20 000 hommes qui ne demandent pas mieux. » Condé a franchi cinquante lieues en onze jours, par les chemins de la Wetteravie que les pluies ont défoncés, et a gagné le haut Eder. Cette marche difficile où il n’a laissé personne en arrière, et avec l’ennemi en flanc, lui a fait déjà grand honneur. Il a dû employer des formations spéciales pour n’être pas entouré en cours de route. Arrivée là, son avant-garde, commandée par le marquis de Lévis, fait des démonstrations sur l’Ohm avec MM. d’Affry et de Conflans, qui s’emparent de quelques postes. M. de Lévis, cadet de Gascogne, est un des héros de la guerre d’Amérique où il s’est particulièrement distingué à Québec. Du commandement du maréchal de Broglie, il a passé sous celui de Condé, qui connaît sa bravoure et sa ténacité.

M. le Prince se retranche et prend près de Giessen, à

  1. Petit affluent de la Fulda.