Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’égayer, à l’intéresser par les détails qu’elle lui adresse. Elle est allée voir son fils en nourrice à Vanves. Comme elle le trouve maussade et colère, elle le fouette de bonne grâce, « ce qui, ajoute-t-elle gaiement, n’a fait ni chaud ni froid. » Ce pronostic pour le futur caractère du duc de Bourbon ne se démentira pas. L’enfant adulte restera volontaire.

La princesse, un moment, croit Condé las de la guerre. En cela, elle se trompe. Un revers a pu tout au plus lui en donner le dégoût momentané. Le vrai soldat ne se décourage pas ainsi, quand il est jeune. Condé ne songe qu’à venger son oncle et l’honneur de sa maison. Ce que sa femme craint surtout, c’est que le désastre de Crefeld « ne renouvelle l’aversion qu’on a pour les princes du sang ; » à mesure que les nouvelles arrivent d’Allemagne, elle juge plus sévèrement l’impéritie du comte de Clermont.

« De l’aveu de tout le monde, écrit-elle, le départ de M. de Clermont de l’armée est un grand bonheur pour l’Etat : on dit qu’il a toujours fait le contraire de ce qu’il fallait… » « C’est lui l’auteur de la perte de Dusseldorf… Le maréchal d’Estrées tâche de rétablir sa santé. S’il se porte mieux, il partira… » «… La famille royale parait dans la consternation de la défaite… »

On voit, par ces fragmens de correspondance, combien les esprits sont montés à la Cour et jusque dans la maison de Condé, contre ce malhabile guerrier improvisé, qui a mis le comble au désarroi de nos armes. Si du moins sa tenue était plus digne ! Mais Mme de Condé parle ailleurs de « l’indécence de Mlle Le Duc, » la maîtresse en titre du vaincu de Crefeld. « C’est toujours à elle qu’on s’adresse quand on veut avoir des nouvelles. Elle débite des bulletins dans tout Paris, où les troupes sont traitées de lâches, sans en excepter les gros mots[1]. » C’est une honte.

Les efforts de Mme de Condé pour dominer ses inquiétudes au sujet de la vie de son cher époux ne sont pas toujours couronnés de succès. Quand la nature reprend le dessus sur la fermeté qu’elle cherche à s’imposer, elle redevient tout à fait femme et tremble pour l’époux chéri. Elle ne peut, lui dit-elle, cacher ses pleurs au public. Ses alarmes sont affreuses. Elle fuit

  1. Voyez sur Mlle Le Duc le Journal de Barbier, t. V, 54 et t. VIII. 249 ; Jules Cousin, le Comte de Clermont, sa cour et ses maîtresses ; Général Pajol, Guerres sous Louis XV, t. IV.