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de cette superstition-là (dans la mesure, bien entendu, où une superstition se détruit) a toujours été une de mes idées fixes ! » Cette violente aversion de l’auteur de la Vie de Jésus pour celui des Variations, et, bien entendu, — il ne s’en cachait point, — pour le critique du Roman naturaliste, ne s’explique que trop bien. Les esprits ondoyans et divers, indécis, tout en nuances, en demi-mots et en demi-teintes, tels que Henan, ne peuvent sentir les esprits résolus, catégoriques, épris d’idées nettes et de solutions fermes, tels que Bossuet ou Brunetière. « Tu diffères ; donc, je ne t’aime pas ! » Que d’ailleurs ces derniers, les esprits dogmatiques, soient parfois un peu trop impatiens dans leur enquête, que, dans leur besoin de croire et d’affirmer, ils brusquent la recherche, et se précipitent, quelquefois trop vite, à des conclusions prématurées, qu’en un mot, suivant le mot de Pascal, ils ne sachent pas toujours « douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut, » il est possible : la vérité est chose si difficile à atteindre qu’il ne faut ni s’en étonner, [ni s’en indigner, ni peut-être même s’en plaindre. Chaque esprit va à la vérité comme il peut, suivant son allure propre, sa structure intime, sa pente originelle. Pourquoi la méthode d’un Bossuet ou d’un Brunetière ne vaudrait-elle pas celle d’un Renan ? Une seule chose est sure : c’est qu’il y a opposition entre les deux méthodes, entre les deux formes d’esprit, et qu’autant, en lisant Renan, Brunetière a dû sentir s’accuser et se préciser la foncière contradiction de sa propre nature, autant, en lisant Bossuet, il a dû se reconnaître et s’aimer en lui.


II

Est-ce à dire cependant que Bossuet ait exercé sur la pensée de Brunetière l’influence souveraine, décisive qu’on lui a si souvent attribuée ? Contrairement à l’opinion commune, — et Brunetière lui-même nous en faisait l’aveu un jour, — nous croyons cette influence sinon pleinement illusoire, tout au moins assez superficielle. Tel était aussi, je le sais, l’avis d’un excellent juge et d’un intime ami, Eugène-Melchior de Vogué, et il l’a, du reste, publiquement exprimé. Et si l’on était tenté ici de crier à la contradiction, ou au paradoxe, nous oserions présenter les observations que voici.

D’abord, on peut admirer, aimer, même avec quelque excès,