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I

Dis-moi qui tu hantes… Quand on les connaît un peu l’un et l’autre, le prêtre du XVIIe siècle et le critique du XIXe, on se rend assez bien compte de tout ce qui, chez le premier, a pu attirer et séduire le second.

Les raisons générales, — les seules qu’il eût peut-être avouées, — ne manquaient certes pas à Brunetière pour justifier l’admiration profonde que de longue date il professait pour Bossuet. « La gloire de Bossuet, écrivait déjà Sainte-Beuve, la gloire de Bossuet est devenue l’une des religions de la France ; on la reconnaît, on la proclame, on s’honore soi-même en y apportant chaque jour un nouveau tribut, en lui trouvant de nouvelles raisons d’être et de s’accroître ; on ne la discute plus. » Renan n’aurait assurément point signé ces lignes, mais Brunetière y eût pleinement souscrit. Je suis d’autant plus à l’aise pour y souscrire moi-même que, si j’ose le dire, je n’irais point, pour ma part, aussi loin que Brunetière dans le culte véritablement unique qu’il avait voué au grand orateur : je sais, au XVIIe siècle même, non pas de plus grands écrivains, mais de plus hauts et de plus vastes génies, de plus hardis, de plus féconds, de plus modernes. Mais, quelques réserves que l’on soit en droit de faire sur quelques-unes des idées de Bossuet, sur son œuvre et sur son influence, une chose est sûre néanmoins. Aucun écrivain d’abord n’a plus honoré notre langue, n’en a mieux connu, ni mieux utilisé les ressources, n’en a su tirer de plus beaux, de plus prodigieux accens que ce prêtre qui n’a jamais été, ni voulu être que prêtre, et qui n’a jamais écrit que pour agir. Ah ! comme je comprends les sentimens de Chateaubriand à la fin d’une nouvelle lecture de l’oraison funèbre de Condé : « À ce dernier effort de l’éloquence humaine, les larmes de l’admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains. » Il y a des pages, il y a des phrases de Bossuet, — songez à celle du Sermon sur l’unité de l’Eglise qu’a si bien commentée jadis M. Lanson, — qui frapperont d’un éternel étonnement, et presque d’une sorte de stupeur admirative, tous ceux qui ont l’honneur de tenir une plume. « Ce demi-dieu de la prose française : » le mot est de M. Bourget, et il exprime à merveille le jugement qu’il faut porter sur Bossuet écrivain.