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Une autre fois, c’est un conclave :


J’ai écrit à Votre Excellence, que les cardinaux sont entrés au conclave vendredi dernier, l’opinion commune étant qu’ils feraient un Pape sans tarder, d’autres pensant, au contraire, qu’il leur faudrait quelque temps pour cela. Maintenant, je dois vous informer que, jusqu’à ce moment, dix heures du soir du dernier jour de l’année, autant que nous en soyons informés, nous n’avons pas encore un Pape. Il est vrai que plusieurs bruits nous sont parvenus s’accordant avec les craintes ou les espérances de la foule, car, en dépit de toutes les précautions prises pour garder secret le conclave, je ne pense pas qu’il soit possible d’empêcher certaines des choses arrivées à l’intérieur des murs de transpirer à l’extérieur et, en ce moment, on suppose généralement que Mgr Farnèse sera nommé. S’il en est ainsi. Votre Excellence l’apprendra immédiatement et je pense qu’il sera bienveillant et aimable pour votre personne.

Aujourd’hui, est survenue une chose qui s’est présentée très rarement jusqu’ici : c’est que les portes du conclave ont été ouvertes en grande cérémonie et avec beaucoup de respect. Les cardinaux sont tous venus aux portes et y ont frappé, pour informer les évêques (il s’agit des huit archevêques ou patriarches gardiens de la porte de la Rota par où l’on passait aux membres du Conclave leur nourriture) que Mgr Grimani était en danger de mort et les priant d’ouvrir les portes. En conséquence, furent appelés les ambassadeurs, desquels il n’y avait d’autre que l’ambassadeur du Portugal et moi ; les portes furent ouvertes et nous vîmes tous les cardinaux, avec des torches à la main, car le lieu était très sombre. Alors, Mgr Santa Croce, en qualité de doyen du Sacré-Collège, nous dit que Mgr Grimani était en péril de mort, comme les médecins en avaient prêté serment et pria les ambassadeurs d’informer leurs princes que les portes avaient été ouvertes pour cette seule raison et que les choses allaient à leur ordinaire et qu’ils comptaient faire leur devoir point par point. Mgr de Como confirma ce dire et alors Mgr Grimani fut emporté dans une chaise et le conclave fut referré de nouveau. Je crains que Sa Révérence ne meure tout de même, car elle semble très mal. Peut-être demain saurons-nous qui est le Pape. — Rome, le dernier jour de 1521[1].


Ce témoin universel est un universel acteur. Ce ne sont pas seulement ses dons d’observation qui lui servent, ses yeux qui sont ouverts ; toutes ses qualités jouent. On n’imagine pas, en aucun autre temps, un homme si complet, beau à voir de tant de côtes. La « spécialisation » est devenue, de nos jours, une manière de dogme. Un homme, qui s’adonne à plusieurs

  1. Serassi, Delle Lettere del Conte Baldassare Castiglione. Padova, 1769-1771.