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comptaient d’ailleurs avoir du temps devant eux ; ils n’avaient pas prévu la rapidité avec laquelle MM. Poincaré et Sasonoff ont mené l’échange de vues entre les puissances ; l’accord de l’Europe, d’après les précédens, leur semblait être une entreprise de plus longue haleine ; ils se sont vus tout d’un coup à la veille d’en recevoir la notification dans des termes qu’ils connaissaient d’avance et ils se sont demandé ce qu’ils devaient faire. Fallait-il attendre la démarche des ministres de Russie et d’Autriche ? Fallait-il brusquer les choses et mettre l’Europe en face d’un fait accompli ? Ils ont préféré le dernier système, et le Monténégro s’est chargé ou a été chargé d’allumer l’étincelle qui devait tout enflammer : il a déclaré la guerre à la Turquie. Pourquoi a-t-il choisi ce moment ? On en a donné plusieurs explications. La plus vraisemblable, la vraie est que les puissances balkaniques, à l’heure même où elles allaient recevoir notification de la volonté des puissances, ont voulu pouvoir répondre : Il est trop tard, l’épée est tirée. Des quatre puissances balkaniques, le Monténégro était celle qui pouvait tirer l’épée au nom de toutes, avec le moindre danger pour elle-même. Le Monténégro a donc tiré l’épée.

Quant aux notifications faites à Sofia, à Belgrade, à Athènes et à Constantinople, on nous dispensera de dire le sort qu’elles ont eu : il faut plaindre les ambassadeurs et les ministres qui ont été chargés de cette figuration où le cours des choses avait mis tant d’ironie.

Nous avons admiré la confiance obstinée de ceux qui, même après cela, ont continué de croire que les choses pouvaient s’arranger pacifiquement. Cet étrange état d’esprit montre combien certaines gens ont aujourd’hui de la peine à croire à la possibilité de la guerre, tant elles sont habituées à la regarder comme une monstruosité contre nature. Il n’y a, au contraire, rien de plus naturel que la guerre, et la merveille est qu’il n’y en ait pas eu d’importante en Europe depuis si longtemps. Bismarck, dans le dernier grand discours qu’il a prononcé au commencement de 1888, estimait qu’il devait y en avoir une en Orient tous les vingt-cinq ans. Le délai a été dépassé d’une dizaine d’années : c’est un beau résultat, mais il ne pouvait pas se prolonger indéfiniment. La paix a des croyans acharnés qui ont en elle une foi mystique que rien ne peut ébranler : nous les renvoyons à ce membre de la Chambre des Communes, — il mériterait que l’histoire retint son nom, — qui, l’autre jour, a demandé à sir Ed. Grey si, dans le cas où les démarches des puissances échoueraient, il n’y aurait pas lieu de porter la question devant la Cour de La Haye. Il a été accueilli par un éclat de rire à peu près général, et sir Ed. Grey lui a répondu