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Elle a pu constater que, tout sincère qu’il soit, l’intérêt porté par les États balkaniques aux chrétiens de la Macédoine, s’il n’est pas le résultat d’une ambition politique, ne tarde pas à la faire naître. Aujourd’hui même, quand les gouvernemens balkaniques déclarent ne poursuivre aucun agrandissement, ils disent sans doute la vérité du moment ; mais ils veulent en réalité, en assurant l’autonomie de la Macédoine, la détacher de l’Empire et, quand elle sera détachée de l’Empire, ils ne tarderont pas à étendre eux-mêmes sur elle des mains qui seront restées armées. La Porte n’entend pas, sous prétexte de réformes à faire, se laisser arracher sa souveraineté. Bien qu’elle en ait mal usé, et que, très probablement, elle soit incapable d’en faire dans l’avenir un meilleur usage, elle entend la garder, en vertu de cet instinct de conservation qui est le même chez les États, petits ou grands, que chez les individus, et qui est partout légitime. Après tous les malheurs qu’elle a éprouvés, toutes les pertes qu’elle a subies, tous les ébranchemens qu’elle a supportés en frémissant, réduite à n’occuper en Europe qu’une petite partie des territoires qu’elle y a eus autrefois et sentant bien qu’une diminution nouvelle serait pour elle l’annonce de l’expulsion définitive, la Porte, attaquée dans ses derniers retranchemens, se défendra avec l’énergie du désespoir, et elle a les moyens de le faire utilement si on lui en laisse la liberté. Les choses étant ainsi, la situation de l’Europe est embarrassante. On ne saurait douter de sa sympathie pour les populations chrétiennes des Balkans ; elle en a donné des preuves nombreuses et convaincantes ; mais d’autres considérations entrent aussi pour elle en ligne de compte. Même diminuée comme elle l’est, la Porte est encore la clé de voûte de tout l’édifice oriental : si on l’élimine, l’édifice croule et il faut en construire un autre. L’Europe ne peut pas assister à un pareil événement, qui serait un des plus grands de l’histoire du monde, sans y prendre une part active, et elle se rend justice en estimant qu’elle n’y est pas préparée. La liquidation orientale, si elle se fait d’un seul coup et par surprise, est grosse de plusieurs guerres dont celle qui commence ne sera qu’une première et faible esquisse. Qui pourrait prévoir les complications auxquelles elle donnera lieu ? De là, indépendamment des considérations d’humanité qui sont pourtant si puissantes, les préoccupations très graves et très profondes qui surgissent dans les esprits.

Nous avons dit qu’une tentative infiniment honorable avait été faite pour empêcher la guerre : même sans grande espérance de succès, il y avait là un devoir à remplir et nous sommes heureux que