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toujours prête à entrer en campagne. Elle y entrera sans doute brusquement un jour ou l’autre : si elle ne l’a pas fait encore, c’est grâce à la prudence, à la sagesse du roi Ferdinand qui, connaissant mieux que ses sujets les dispositions de l’Europe, n’a pas encore trouvé le moment favorable. Mais les Bulgares sont impatiens. Doués d’un esprit essentiellement utilitaire et pratique, ils ne veulent pas avoir fait pour rien de grands sacrifices, et ils estiment que, s’ils ont une armée qui leur coûte très cher, c’est pour s’en servir. Les occasions, c’est-à-dire les prétextes, ne leur manqueront pas quand ils croiront l’heure sonnée. » Les événemens nous ont donné raison, avec plus de promptitude encore que nous ne l’aurions cru : ils se sont précipités en quelques jours comme une avalanche. Ce qui a pu étonner, c’est l’accord qu’on a vu établi entre ces petits peuples des Balkans que nous avions présentés comme animés les uns contre les autres de jalousies irréductibles. Cette situation est-elle donc changée ? Ces sentimens ont-ils présenté le phénomène d’une conversion subite et complète ? Les Grecs et les Bulgares sont-ils devenus bons amis sous l’impulsion d’une haine égale contre les Turcs ? Nous n’en croyons rien. Si la coalition balkanique sort victorieuse de la guerre où elle s’engage, on verra se produire entre les alliés de la veille toutes les horreurs de la discorde : la vengeance de la Turquie sera dans sa dépouille à partager. Mais nous n’en sommes pas encore là. Le sentiment qui l’a emporté aujourd’hui chez les peuples balkaniques est l’impatience de l’action : ils ont voulu abattre l’ennemi commun en pensant qu’à chaque jour suffit sa peine et que le lendemain sera ce qu’il pourra. Une diplomatie à coup sûr imprévoyante a encouragé et facilité entre eux les rapprochemens politiques et les ententes militaires d’où est sortie la coalition actuelle. Depuis quelque temps déjà, le bruit courait qu’une alliance avait été conclue entre la Bulgarie et la Serbie et les démentis qu’on y opposait ne l’empêchaient pas de se répandre ; mais on ne connaissait généralement pas les conditions précises de l’alliance et on ignorait que la Grèce et le Monténégro y étaient formellement entrés. Si les chancelleries étaient instruites, — et nous doutons qu’elles l’aient été toutes exactement, — l’opinion ne l’était pas : c’est pourquoi la surprise a été presque aussi grande que l’émotion lorsqu’on a appris, un matin, que les quatre puissances avaient ordonné la mobilisation de leurs armées.

A partir de ce moment nous avons considéré que la cause de la paix était perdue. S’il restait pourtant une chance de la sauver, si minime fût-elle, il fallait s’y attacher avec énergie et tâcher d’en