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votre visite, vous venez étudier l’âme française en Amérique, et je crains bien que, pendant votre courte visite sous mon toit, je n’aie pas eu le temps de vous la montrer dans toute sa vivacité. Pour bien la comprendre, il vous faudrait entendre nos enfans, quand ils sont tous réunis, dérouler leur répertoire de vieilles chansons de France et nous questionner sur votre beau pays.

« Vos malheurs, vos succès, vos gloires, trouvent un écho dans nos cœurs, et cet attachement profond à la vieille mère patrie ne nous empêche pas d’être de loyaux et fidèles sujets britanniques. Expliquez cela si vous le pouvez.

« Merci à vous et à vos compagnons de voyage pour l’honneur que vous m’avez fait de visiter mon humble toit. Je comprends que c’est le paysan canadien-français que vous avez honoré en ma personne, et je vous remercie au nom de tous.

« Croyez-moi, cher monsieur, votre bien dévoué


« F. Bélanger. »


Si on me demandait, maintenant, quelle est mon opinion sur les Canadiens-Français en général, je me récuserais, n’ayant pas eu le temps d’étudier chacun des groupes humains dont le peuple est composé. Mais si on limitait la question à la population rurale, d’origine française, de la province de Québec, je n’hésiterais plus. D’autres ont célébré et préféré l’audace du colon américain, ou la méthode de l’Écossais, ou la patience de l’Allemand. Mais, si l’on juge à la fois les trois élémens qui font l’homme de labour, la famille, l’âme, le goût du métier, le Canadien-Français n’a pas de rival. On pourrait lui en trouver pour le métier : il n’en a pas pour l’âme. On la sent enveloppée, menacée, attaquée déjà par plusieurs ennemis, la richesse, l’alcool, la politique, la mortelle Révolution. Mais, si elle résiste, quelle grande nation, bientôt, elle animera !


René Bazin.