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de plus de deux cents ans de présence familiale sur la même terre. A chacun de ceux-ci, une croix de vermeil était promise, et un diplôme. Or, il y eut deux cent soixante-treize de ces nobles, et, assurément, le recensement ne put être complet. Qui étaient-ils, les chefs de la lignée ? Après le traité de Paris, du 10 février 1763, il fut accordé aux Français un délai de dix-huit mois pour vendre leurs biens et retourner en France. Un grand nombre en profitèrent. Les historiens nous disent qu’il resta cinq cents soldats, quelques rares employés et artisans, et des laboureurs « attachés au sol et qui ne le quittèrent point. » La plupart des prêtres, attachés aux âmes comme les paysans à la terre, ne songèrent pas même à laisser les paroisses commençantes. Et ce fut le début d’un empire.


Québec. — De la terrasse de Québec, où des habitués se promènent, dans le vent du matin, j’aperçois le plus beau carrefour d’eau qui soit au monde. Quatre régions de plateaux, d’une hauteur à peu près égale et s’opposant deux à deux, s’avancent dans le fleuve : celle de Québec, élevée de plus de cent mètres au-dessus des eaux, la côte de Beauport à gauche, la pointe de Lévis à droite, en face l’ile d’Orléans. Je ne vois limpidement, avec tout l’amusement des reliefs et des couleurs, que la basse ville étendue au-dessous de moi. Les autres terres sont distantes. Le paysage est immense. L’œil ne s’intéresse plus aux formes secondaires, mais aux longues lignes droites de ces terres hardies, qui enfoncent leurs falaises dans le courant. Les pointes sont brunes, les sommets d’un vert pâli par le lointain. Entre eux, il y a la lumière des eaux, qui est jaune aujourd’hui, et qu’un vieux Canadien m’assure avoir vue très bleue, et glauque, et violette, et quelquefois encore, au soleil descendant, toute tavelée d’or et de rouge, comme une forêt d’érables transparente. Cette lumière, au moment où je passe, n’a qu’une beauté médiocre. D’où vient donc mon émotion ? Pourquoi mes lèvres, malgré moi, s’ouvrent-elles pour dire : Que c’est beau ! que c’est beau ! Pourquoi mes yeux se reposent-ils, avec une telle joie, sur ces étendues qui bâtissent, autour du Saint-Laurent, un dessin géométrique ? Vers le Nord et vers l’Est, toute la côte de Beauport et de Beaupré est dominée par la chaîne des Laurentides. Elles suivent le fleuve ; elles ont des mouvemens d’une souplesse parfaite ; elles font, au bas du ciel, une suite de