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les hommes faits eux-mêmes ? Est-il prudent de les habituer à croire que la patrie peut avoir tort et qu’on ne lui doit son dévouement que lorsqu’elle a raison ? Nos « grands ancêtres » de la Révolution ont-ils fait ces distinctions ? se sont-ils bornés au rôle défensif ? Est-ce même assez respecter l’innocence des enfans que de leur dénoncer grosso modo les faiseurs d’affaires et de leur donner à croire qu’ils sont à l’origine de toutes les entreprises militaires ? N’y a-t-il pas, dans les précautions, les réserves, les équivoques, le subtil dosage d’un tel enseignement, quelque chose d’incomplet, de partial et de bas ? M. Guist’hau a eu bien raison de dire dans un discours récent, que « le patriotisme n’a pas besoin d’être défini ! » On voit combien il est dangereux pour certains exégètes de s’essayer à le définir. Mais voici le comble. Les instituteurs « se permettent de rappeler qu’en des circonstances récentes, la même presse qui harcèle les maîtres laïques traitait aussi d’antipatriotes et d’antimilitaristes ceux qui combattaient la justice de caste et subissaient le blâme et la ruine plutôt que de trahir la vérité. » Les instituteurs se permettent cela : nous ne leur en faisons pas nos complimens ! Ainsi l’affaire Dreyfus est devenue matière d’enseignement primaire. Les hommes sensés évitent aujourd’hui d’en parler pour permettre à l’apaisement de se faire. S’il y a un lieu entre tous à la porte duquel on doit arrêter ce qui nous divise, assurément, c’est l’école. Le premier devoir de l’instituteur est de ne rien dire à l’enfant qui, rapporté dans les familles, pourrait y rallumer le feu sous la cendre et enflammer de nouveau les passions qui s’éteignent. Ils ne l’entendent pas ainsi. Dépositaires d’une science supérieure et infaillible, ils distribuent la justice sans crainte de se tromper. Nous les plaignons ! Mais ils ne sont pas seuls à plaindre ; ils ne sont même pas ceux qui le sont le plus.

Le manifeste ne s’arrête pas là : les instituteurs des amicales n’ont pas cru pouvoir se dispenser de parler de la question du jour. « Si, disent-ils, pour se conformer aux décisions des congrès fédéraux des amicales, ils réclament le droit commun en matière d’association, ce n’est pas dans un but de désagrégation nationale ou d’acclimatation des méthodes violentes. Mais ils ne comprennent pas que, dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme, on les considère comme des citoyens diminués. Issus du peuple, éducateurs de ses enfans, voulant adapter l’enseignement à ses besoins, ils ne sauraient rester en dehors du grand mouvement d’émancipation politique et économique qui entraîne dans l’association tous ceux qui produisent et qui travaillent. » Au milieu de cette phraséologie, où est le point important ?